OÙ CELA NOUS MÈNE-T-IL

Vedette

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Bonjour

Quelle joie de vous retrouver ici, autour de la table. Du coup, j’en doutais. Je me disais… Peu importe. Voilà, vous, jeunes hommes et jeunes femmes, acceptez de prendre part à l’atelier indéfini Où cela nous mène-t-il.

Quelle impolie je fais tout de même! Voilà, je me présente. Carmine, artiste multidisciplinaire. Je peins, je sculpte le vitrail, je crée des vêtements pour chefs de chœur et choristes. Depuis peu, je m’adonne à l’orfèvrerie de bijoux de piercing. Aussi, je carbure à l’aventure depuis toujours : escalade, course en moto ou en trimaran, bunjee et tant d’autres. Rassurez-vous, nous ne nous lancerons pas dans ce type d’aventures.

Du coup, j’animerai l’atelier pour les quatre prochains lundis. Vous participez à celui-ci avec la seule contrainte de pouvoir photographier avec votre téléphone. Ça va, vous en possédez un?

Et toi, je veux m’assurer que tu en possèdes un. Peux-tu me le montrer s’il-te-plaît?

Voilà. Tout est en règle. Débutons.

Du coup, faisons connaissance. Présentez-vous de façon brève en donnant votre prénom et les motifs à vous lancer à l’aveugle dans un projet un peu fou, sans savoir où il nous mène. Ah! Je vois! La gêne vous gagne. Qui plongera en premier?

Un vingtenaire, sculpture albâtre, s’avance sur le bord de sa chaise, se gourme avant d’entonner: Bonjour, je me prénomme Hervé. Sa voix grave enjôle l’auditoire. J’étudie en génie mécanique à Poly. Le contenu non défini de l’atelier me permettra, je l’espère, de me divertir et de m’éloigner de la science le temps d’une soirée. De plus, l’inconnu me titille.

Je m’appelle Olympe. Je me demande si je possède encore la témérité de mes 20 ans, le goût du risque, de l’aventure, celui d’aller à la découverte d’ailleurs passionnants. Je me lance les yeux fermés, confiante et déterminée à relever le défi.

Soixantaine aux tempes grises, l’homme confie être à la retraite. Je m’appelle Alejandro, bonsoir tout le monde! Son accent musico-piquant rallume l’auditoire. Ma petite-fille m’a convaincu de m’inscrire à une activité au lieu de poireauter à l’attendre durant son cours de ballet-jazz. Tant qu’à ne rien faire, aussi bien me jeter dans l’inconnu. Passer le temps, relever un nouveau défi, rencontrer des personnes aussi folles que moi. Excusez! Il entraîne le groupe dans une vague rieuse.

Je me prénomme Moussa. Bonsoir à vous. Mon ami Hervé ici présent m’a tiré l’oreille pour participer. « À deux, ce sera plus stimulant. » qu’il m’a dit. « Ça t’éloignera des nerds de Poly. » Obéissant à Hervé, j’entends aussi ma curiosité s’animer, l’envie de plonger dans le mystérieux. Madame Carmine, est-ce que ça fait mal? Son sourire franchit une muraille de porcelaine immaculée.

Et toi? Du coup, comment t’appelles-tu?

Une mèche mauve devance une tête émergeant du capuchon d’un hoodie, rendant la jeune femme borgne. Un chant d’oisillon inaudible s’envole vers l’assistance.

S’il-te-plaît je te demande de parler plus fort pour que nous puissions t’entendre. Allez, tu le peux.

Ma TS me pousse à rencontrer des gens, à participer à une activité qui me plaira. Je ne sais pas ce qui me plaît. Hésitante … Je suis ici. Certainement pas par goût de l’aventure. La curiosité peut-être. Ou juste pour satisfaire ma TS… et comme je sais faire des photos avec mon téléphone… ben…

Merci beaucoup. Du coup, peux-tu nous dire ton prénom?

… hum hum… Andy.

Merci Andy. Merci à vous aussi d’avoir créé l’atmosphère bon enfant dans laquelle nous nous retrouvons. Voilà, plongeons! Tout d’abord, il ne sera absolument pas question d’autoportrait. Nous allons dans un autre univers. Regardez ici, dans le local, plusieurs éléments disparates meublent l’espace. Du coup, pour les prochaines quinze minutes, je vous demande de photographier à votre guise. Choisissez l’angle, captez deux-trois objets à la fois, peu importe. Pour le moment, nous explorons. Allez, lancez-vous. Du coup, j’espère que vos téléphones sont suffisamment chargés!

Le quintette envahit la grande salle, les clics pétillent. « Place-toi près du pupitre, je vais photographier l’ensemble. » propose Moussa. « Je ne crois pas que ce soit indiqué de me voir dans ta photo. », décline Olympe.

Carmine projette les photos sur l’écran, pointe celle de la ruelle qui ne répond pas à la directive malgré l’originalité de la scène. Elle commente les autres photos et félicite les participants pour leur intérêt manifeste à l’activité. Le temps file à toute vapeur dans ce plaisir de photographier.

Voilà la consigne pour la semaine prochaine : me fournir une photo, deux tout au plus, mais pas n’importe laquelle. Tout au long de la semaine, je vous invite à arpenter les rues de votre quartier en regardant en haut et en bas, tout le tour, pour dénicher des subtilités qui peuvent nous émouvoir, nous surprendre, peu importe. Tout au long de la semaine, ayez l’œil ouvert et le clic à portée de doigt. Du coup, il vous suffira de choisir dans votre porte-folio pour soumettre celle qui vous rejoint le plus. Pour le reste… mystère!!!

Quatre personnes excitées renouent avec plaisir, saluent Carmine, échangent des commentaires sur leurs trouvailles. Andy, retirée dans le capuchon de son hoodie, assombrit un tantinet les retrouvailles. L’animatrice lance l’activité.

J’aime votre enthousiasme. C’est un plaisir pour moi de vous revoir. Voyons vos découvertes. Du coup, à tour de rôle vous commenterez votre photo, ce qu’elle représente pour vous, les émotions, souvenirs, intérêts qu’elle soulève. Qui débute?

Je veux bien.

Alejandro, nous t’écoutons.

J’ai vu cette murale près de la station de métro Mont-Royal. Mon cœur a chaviré tout de suite. J’ai revu ma mère dans ce tableau : Yamara et Terre-Mère. Ma mère m’a allaité avant de mourir d’un cancer du sein.

J’ai immigré ici en 1973, lors du coup d’État au Chili. Je n’avais jamais imaginé voir ma mère sur une murale à Montréal.

Merci beaucoup Alejandro pour ce témoignage. Il m’émeut beaucoup. Du coup, qui veut poursuivre?

Alejandro, tu m’as vraiment touchée avec ton commentaire.

Merci Olympe.

Bien sûr, de nature rebelle, je ne pouvais pas me limiter à une photo; en voici donc deux.

Je m’arrête sec avant de piétiner cette ombre qui traverse le trottoir. Pour moi, elle représente une pellicule de film. Oh la la! Les souvenirs s’étrivent, se bousculent…

S’étrivent, c’est quoi? chuchote le capuchon du hoodie.

S’étrivent… se taquinent répond Olympe. Elle reprend … les souvenirs se bousculent pour briller sur le devant de la scène. Plus tard, je vois ce filet sur un chantier de construction. La vision me catapulte sur l’écran de ma jeunesse, alors participante à la Course autour du monde.

Tu as fait la Course autour du monde, s’exclame Alejandro. J’ai suivi cette compétition à la télévision pendant des années. Quelle expérience tu as dû vivre!

Alejandro, je t’invite à prendre un café pour t’en parler si tu veux bien, propose Olympe.

Du coup, poursuivons. Messieurs? Andy?

Andy, Andy, Andy scandent les universitaires.

Affolée, Andy s’empare de son téléphone sur la table et se précipite vers la sortie. Moussa la rattrape à temps, lui chuchote quelques mots à l’oreille, lui passe le bras autour des épaules. Elle consent à regagner sa place dans le groupe.

Jeunes hommes, je vous en prie! Voilà, Andy a seulement besoin d’être écoutée avec plus de calme. Es-tu prête Andy? À toi.

D’accord Carmine. Quand même, tout le monde va rire de moi! Parce que je suis poche en photo. C’est niaiseux ce que j’ai fait.

Andy, as-tu entendu des moqueries lors des présentations précédentes? Andy caresse sa couette mauve pour se rassurer; serait-ce sa doudou? Du coup, pourquoi le ferait-on pour ta photo? Tu assistes, tu participes, sans doute parce que tu y trouves ton compte, il y a un déclic qui se passe en toi puisque tu persistes. Tu peux nous faire confiance. Allez, plonge!

Toute la semaine, j’ai juste vu des escaliers pis des arbres… y avait jamais rien d’étonnant. J’te dis, j’suis poche! Hier, quand même, j’ai vu un cercle sur le trottoir… comment ça s’appelle?

Un trou d’homme, répond Hervé.

Un trou d’homme… OK. C’est poche!

Andy, arrête. Ne dis plus cela. Ça n’apporte rien. Du coup, dis-nous plutôt comment tu as réagi en voyant ce cercle? Tu as choisi cette photo; il y a sans doute une raison. Dis-nous.

Ben… C’est drôle! Quand j’ai vu ça, j’ai comme vu le tapis tressé dans maison chez ma grand-mère. J’ai comme eu envie de toucher… puis non… ça doit être tellement salaud c’t’affaire-là.

Est-ce que c’est un beau souvenir pour toi?

Un peu. Surtout non. Comment tu t’appelles déjà?

Olympe.

Des fois Olympe, je tournais comme une toupie pour m’amuser. Des fois, je passais mes doigts sur les tresses pour… Andy ravale son mot, déroutée, bouleversée, terrifiée… Des fois, c’était pas l’fun. OK. J’suis fatiguée.

Les participants l’applaudissent; Andy passe sa mèche doudou sur ses yeux.

Andy, c’est super poignant ce que tu racontes. Excuse ma maladresse de tout à l’heure en t’offrant de te protéger. Je vois que tu te défends très bien toute seule. Si tu veux bien, je vais prendre le relais.

C’est beau Moussa. Du coup, nous t’écoutons.

Comme Alejandro, j’ai été chamboulé par cette murale près de la rue Duluth. On dirait mes parents; ils étaient champions internationaux en danse sociale. Mes parents adoptifs sont morts dans le même accident de voiture à trois heures d’intervalle. J’étais abandonné quand ils sont venus me chercher au Sénégal. Encore maintenant, me voilà seul. Heureusement, Hervé me soutient, m’épaule. C’est un frère pour moi.

Allez, frère! lance Hervé en se levant pour faire l’accolade à son ami. Frère? Ça va?

Une dentition immaculée décline une réponse positive.

Me croirez-vous? Hervé s’emballe. Je marche sur la rue de Bienville et paf! Ce magnifique personnage de papier m’apparaît derrière une vitrine. J’obtiens l’autorisation de le photographier.

Il inspirera le personnage principal de mon manga au temps des samouraïs.

Tu as écris un manga, s’enquiert Moussa?

Moussa et Hervé, du coup, vous approfondirez le sujet devant un café, vous aussi. Merci pour vos présentations exceptionnelles. Poursuivons l’atelier du jour. Je vous invite à entrer dans votre monde imaginaire et écrire un texte d’au plus cinquante mots en prose, en poésie, en slam… à votre choix.

Écrire! J’suis tellement poche en écriture. Ça va sortir tout croche. Comment j’va faire?

Andy, fais-toi confiance comme tu nous le montres depuis le début de l’atelier. Je te comprends, cela apeure d’explorer un nouveau médium, de descendre dans une grotte ou d’escalader le Kilimandjaro. Du coup, tu sauras nous surprendre, j’en suis convaincue.

C’est où le Kili… ça là?

C’est un volcan de l’Afrique souffle Moussa à Andy.

Carmine enchaîne: du coup, ce texte s’inspirera de votre photo. Ne la décrivez pas, au contraire tirez-en tout le jus pour la faire s’exprimer. Cinquante mots ou moins. Voilà, compris Olympe?

Tous se bidonnent pendant la distribution par Carmine d’un magnifique calepin et des stylos ou crayons de plomb selon sa préférence à chaque personne.

Quinze minutes avant la fin de l’atelier, Carmine donne les consignes pour le prochain rendez-vous.

Ça va? Voilà, bonne semaine tout le monde. Merci beaucoup pour votre participation. J’apprécie.

Troisième lundi

Bonsoir. Avez-vous pris le temps de vous rencontrer autour d’un café?

Un léger brouhaha anime le groupe, des rires fusent, rappellent l’intensité d’un échange autour d’une pizza. Seule Andy reste cloîtrée dans le capuchon de son hoodie, sa couette mauve pour tout bouclier.

Vous êtes formidables! J’ai reçu vos photos dans le délai convenu. Du coup, jusqu’à maintenant, trouvez-vous l’expérience hasardeuse, inquiétante, déstabilisante?

Pas du tout. Je n’ai pas le sentiment de m’être lancée dans le vide. C’est super chouette cet atelier, mordille Olympe, tournoyant un bonbon dans sa bouche.

J’abonde dans le même sens. Je n’ai jamais été dérouté. Et je ne peux pas dire que c’est excitant. Au retour à la maison, ma petite-fille me questionne sur ma soirée et je réponds : « Baf! Pas grand-chose, on parle de nos photos, on écrit… J’ai hâte de me surprendre moi-même. »

Andy, veux-tu nous dire quelque chose?

La tortue sort de sa coquille, étire le cou et gazouille.

En tous cas, ma TS est fière de moi. Elle dit que c’est un exploit pour moi d’avoir participé tout le temps.

Du coup, es-tu d’accord avec ta TS?

Ben… oui pis non. C’est vrai que je continue… parce que j’aime… elle soulève sa mèche mauve du revers de la main … à cause de vous autres. Et non, je suis trop poche avec la photo que je t’ai envoyée.

Je vais te surprendre avec la prochaine directive. Du coup, merci pour ta persévérance, Andy.

Lui soupçonnant une fragilité à fleur de peau, les autres se limitent à la complimenter des yeux.

Êtes-vous prêts pour la suite?

Carmine insère dans un bol cinq bouts de papier sur lesquels sont écrits les prénoms des cinq personnes prenant part à l’atelier. Elle projette sur l’écran les cinq photos reçues par courriel, sans que celles-ci identifient les photographes.

Aujourd’hui, nous nous déstabilisons. Je vais piger au hasard un nom qui sera attribué au fur et à mesure aux cinq photos montrées sur l’écran.

Je n’ai pas vu votre texte inspiré de votre photo fétiche. À partir de celle qui vient de vous être attribuée, vous devez écrire une ou deux phrases à intégrer au début, à l’intérieur ou à la fin de votre texte, en obtenant une cohérence entre les deux. Allez. Inspiration, apparais-nous!

L’atelier se poursuit par un brassage d’idées menant à la rédaction d’une invitation à l’exposition-lecture pour la semaine suivante.

Quatrième lundi

Le quintette entre dans la salle, Andy au milieu du groupe. Cinq panneaux s’alignent, dévoilant les photos et les textes des membres de l’atelier Où cela nous mène-t-il. L’exposition démontre le talent artistique de Carmine ayant su créer un éblouissement pour les yeux, illustrer l’émotion vive des personnages de l’atelier.

Une demi-heure plus tard, une vingtaine de personnes prennent place devant les tableaux. La présentation, convenue avec Carmine par courriel, peut débuter.

Olympe fait son cinéma

La concurrente termine le montage des images extraites de la pellicule. Elles colorent l’écran. Les mosaïques de la médina réjouissent la participante, fière du résultat. Elle poste son film à l’extrême limite du temps alloué. Le jury rendra un verdict sévère: trop échevelé, incohérence entre les scènes, la participante manque de sérieux. La note tombe: évincée.

Vipère des sables, s’enfouir dans le désert marocain pour y ensevelir sa déception.


Le mangaka Hervé

L’Oiseau au pouvoir mirifique porte ombrage à Samouraï,
plonge le peuple effrayé dans une torpeur à générer le chaos.

Samouraï invite Soleil à descendre dans le cercle immense tracé de son sabre autour du territoire. L’astre du jour perce le cercle et entraîne Samouraï dans les profondeurs de l’Univers agité de vibrations. De ses feux les plus ardents, Soleil s’éjecte du trou, propulse Samouraï sur une glissière de lave. Le mont Fidji naît de ces cendres.


Alejandro honore la Pachamama

Des fleurs de tes seins coulait le nectar de la vie, je m’enivrais du parfum de ta peau, le soleil de tes yeux illuminait mon visage repu.

« Wawaja, juma pachpaw atinisiñama. Jumax askinak jikxatäta.* » me confient les cernes suintants de tes tumeurs cancéreuses.

L’oiseau-mouche se sustente, nourrit ses rêves,
boit à la source vive de la nature féconde.

Une petite-fille s’élance vers son grand-père, l’enlace, charmée par les images et les mots.


Moussa danse

Enfant des ténèbres dans la tour de l’abandon
Enfant funambule sur le fil d’un cocon

Froidure griffant sa chair d’ébène
Morsure sciant son cœur de glace

Maman elfe – Papa toxedo
Dansent dans les vapeurs délétères

Blanc de mémoire – nocturne


Andy et Fifille

Un rond. Faire fluffer sa jupe en tournant sur le tapis rond dans l’salon de grand-mère. Grincheux soulève Fifille, étourdie. Un trou d’homme. Il pue le méchant. C’est poche!


Gravé dans ses tripes, tatouage sur le silence de Fifille.

Carmine prend la parole : Andy et Moussa veulent pousser plus loin le défi; du coup, ils nous récitent ce court texte d’une seule voix.

Prise de vertige, Andy glisse sa main dans celle ambrée de Moussa pour rétablir son équilibre émotif. Le jeune homme tisse ses doigts à ceux d’Andy, scellant dans leur corps un frisson torride.

Andy et Moussa s’élancent sur la même inspiration.

(* Mon fils, fais-toi confiance. Tu réussiras. – Langue aymara)

© 2024 Véronique Morel, texte et photos

Note : Je remercie les artistes de rue de m’offrir des œuvres si inspirantes.

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Ô’MER

Vedette

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Un conte de
Fleurabie

L’histoire raconte le parcours intemporel d’une Bulle, de sa formation à sa transformation.

Peinte d’un voile translucide aux couleurs de l’arc-en-ciel, Ô’Mer pavane ses courbes des fosses marines encore vierges jusqu’aux dents de la mer contournées grâce à ses cabrioles insouciantes.

Curieuse, elle bamboche, tournoie, monte en surface, redescend dans les profondeurs. Rien ne l’effraie, ne la ralentit ou l’arrête.

Ses explorations des couches profondes d’un territoire aqueux réveillent sa solitude. Fatiguée de ses virées inespérées certes, inassouvies sans doute, elle tente de comprendre ce qui lui manque. Y a-t-il d’autres bulles? souffle-t-elle en son for intérieur.

Elle se pose avec délicatesse sur la fosse dorsale d’un papillon des mers, prête à se laisser bercer, songeuse.

Donc, Bul’Are, univers à construire dans lequel s’activeront des bulles vaillantes et enjouées, prend forme dans l’imaginaire de notre personnage central. Des maisonnettes les abriteront à tour de rôle pour s’esquiver des prédateurs. Prédateur! Quel mot incongru glougloute la rêveuse pour elle-même! Ses pensées se multiplient. Je décorerai l’endroit d’algues alpines de la longueur d’un cheveu d’arcanson et des sources enjoliveront les places.

Sitôt pensé, l’eau des fontaines éclabousse ses rêveries articulées dans sa rondeur intérieure.

Un gargouillement la réveille, la secoue, l’intrigue : s’y déploient, exhalées de son souffle et catapultées dans la sphère, des bulles indisciplinées, minuscules ou énormes, roses, vertes, jaunes ou bleues, translucides. En attente d’une directive, elles s’installent dans les maisonnettes.

Déshydratée après tant d’effort, Ô’Mer crie famine. Telles des lucioles argentées, les bulles…

Les Bul’Ariss, dignes résidentes de Bul’Are, se précipitent donc aux fontaines dispersées sur le territoire pour apporter l’eau vivante à leur déesse Ô’Mer. N’exigeant aucune explication, les Bul’Ariss s’affairent à abreuver Ô’Mer sans relâche, pour lui préserver son teint multicolore bien sûr, et lui fournir l’eau-de-Vie, stimulant incontestable pour animer ses troupes dans l’accomplissement de leur tâche.
Le rituel se répète au rythme des marées, des rais lunaires projetés sur les flots, et parfois même au-delà de la régularité des interventions : combler le besoin urgent de sustenter Ô’Mer, pour la prémunir d’un dégonflement humiliant.

Les Bul’Ariss collaborent, se succèdent auprès d’Ô’Mer, veillent jour et nuit au confort de celle qui les a formées, semblables au ballon gonflé par le souffleur de verre. Excitées par la découverte interminable des fontaines de Bul’Are desquelles sourcent une eau claire, limpide, abondante, désaltérante, les Bul’Ariss saisissent la valeur intrinsèque de cet élixir, le protègent, le respectent pour nourrir Ô’Mer à tout jamais.

Certaines Bul’Ariss remarquent peu à peu l’assombrissement des parois de Bul’Are. Intriguées, elles se relaient au guet, veulent découvrir d’où provient ce nuage noir.
Plus étonnant, d’autres Bul’Ariss débusquent un comportement irrégulier parmi des congénères. Les espionnes comprennent le manège : quelques Bul’Ariss permettent à un prédateur l’extraction jusqu’à plus soif de l’eau des fontaines contre le remplacement d’Ô’Mer et le contrôle indiscutable de Bul’Are.
Accolées à la paroi circulaire de leur territoire, plusieurs Bul’Ariss lèvent le poing, réclament la protection de l’eau, essence vitale pour la survie de leur déesse. Quelle impertinence de vouloir détrôner Ô’Mer, s’indignent la majorité des Bul’Ariss! Pourquoi se priver d’exploiter cette richesse incolore et inodore pour atteindre nos objectifs, martèlent dans un ricanement les Bul’Ariss complotistes?

Belle Zébrute sort de l’ombre : le siphon aspire la paroi translucide d’Ô’Mer, exerce une adhérence vibrante et constante, interminable, pompe l’eau à un rythme effréné. Bientôt, les fontaines seront taries.

L’inquiétude s’intensifie, la colère gronde. As-tu remarqué? L’eau change de couleur démontre la Bul’Ariss devant l’une des fontaines. Avec cette apparence inhabituelle, je la juge impropre à la consommation professe une résidente de Bul’Are. Tellement, poursuit-elle, que nous voyons déjà dépérir Ô’Mer. Sa surface extérieure se flétrit, son regard s’assombrit, devient lugubre. Tout chez elle montre des signes de fin de règne.

Redoutant une catastrophe, affolées, les Bul’Ariss forent autour des algues pour y récupérer l’eau qui les alimente. Par tous les moyens, elles partent à la conquête de l’eau, peu importe où elle se trouve, dans l’espoir de sauver Ô’Mer d’une disparition par implosion.

Que se passe-t-il? Un branle-bas indéfinissable agite l’univers d’Ô’Mer. Plaquées contre les parois colorées de leur territoire, les Bul’Ariss s’étourdissent bien malgré elles dans ce manège furibond.

Bul’Are roule, roule, combat des vagues écumeuses destructrices, tournoie dans l’œil d’un ouragan, escalade un nuage d’orage et s’écoule, cabossée, en une chute d’eau sur la grève d’un milieu sphérique comme elle, étranger, consternant.

Étonnées, les Bul’Ariss observent Ô’Mer gruger la plage, s’enduire de glaise, se mouler en divinité mystérieuse si dissemblable de la forme ronde et colorée tant aimée.

Sertie d’une beauté incomparable, une Dame se lève, … Ô’Mer… se nomme-t-elle toujours Ô’Mer? s’émeuvent les Bul’Ariss. La Dame marche vers un vieillard adossé à un tronc carbonisé. Il la reconnaît : Terre-Mère! Vous êtes de retour! articule-t-il d’une voix caverneuse, terrifiante pour les Bul’Ariss.

Terre-Mère enroule sa voix à celle du vieillard pour que résonne ce chant parvenu du fond des âges.


: Ô’MER

C’est une chanson pour les enfants qui naissent et qui vivent
Entre l’acier et le bitume, entre le béton et l’asphalte,
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin.

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.
Il brillait au soleil comme un fruit défendu.
Non, ce n’était pas le paradis ni l’enfer
Ni rien de déjà vu ou déjà entendu.
Lalala, lalala, lalala

Il y avait un jardin, une maison, des arbres,
Avec un lit de mousse pour y faire l’amour
Et un petit ruisseau roulant sans une vague
Venait le rafraîchir et poursuivait son cours.

Il y avait un jardin grand comme une vallée.
On pouvait s’y nourrir à toutes les saisons,
Sur la terre brûlante ou sur l’herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n’avaient pas nom.

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.
Il était assez grand pour des milliers d’enfants.
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents.

Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître,
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus?
Où est cette maison toutes portes ouvertes,
Que je cherche encore mais que je ne trouve plus?

Il y avait un jardin grand comme une vallée.
On pouvait s’y nourrir toutes les saisons,
Sur la terre brûlante ou sur l’herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n’avaient pas nom.

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.
Il était assez grand pour des milliers d’enfants.
Il était habit jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents.

Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître,
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus?
Où est cette maison toutes portes ouvertes,
Que je cherche encore mais que je ne trouve plus?

Paroles et musique de la chanson: Georges Moustaki

© Véronique Morel 2023, texte et photos

Kintsugi de papier

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– Madame, puis-je vous photographier?

Charmée par les doigts effilés du poète à l’image, elle enfile le chiton de Muse pour suivre Pégase.

Des bancs publics aux sofas élimés, des roses à la main aux verres sur le guéridon, du lit de neige à la chambre noire : Muse allonge les bras, les yeux ou le sourire, expose son corps défraîchi aux rais de lune, sa vulnérabilité ou son excentricité à l’œil affamé du cyclope.

Pégase adulera sa Muse, fouillera parmi les secrets noyés dans les sillons du visage, imprimera sur la pellicule argentique le grain de la peau fanée, mettra à nu la déchéance des doigts – cailloux tordus de douleur.

Adepte d’Araki Nobuyoshi, Pégase imprégnera Muse de l’approche artistique de son mentor, étalant devant elle quelques recueils chéris comme des pierres précieuses :

Diary Sentimental Journey

Shiki-in

Tombeau Tokyo

Muse s’extasiera devant ces œuvres controversées, s’émouvra au récit du « temple dépotoir où l’on jetait le corps des courtisanes mortes sans famille » – fille de joie, n’a-t-elle pas suffoqué, pendant plus de trente ans, dans la saumure de l’enfer, sacrifiée aux vautours? –, se glissera en toute candeur dans l’abandon de ses scrupules, ouverte à l’offrande des sens.

Tous les alibis servent de tremplin pour capturer les mouvements de Muse, ses rires, ses caresses, ses moues, ses pieds nus, ses regards inquiets.

Dix années ont coulé entre leurs bras amoureux. Puis… Muse rompt le charme, immobilisée dans l’antre de bienveillance, tout de même hors du temps. Ses cheveux deviennent d’étranges fils d’acier; ses ongles jaunissent; un voile embrume son regard. Muse ne reconnaît plus Pégase, s’en éloignera jusqu’à l’immolation de son essence vitale.

Ouvert devant ses yeux, le cahier à spirale le subjugue : feuilles quadrillées cornues, flétries par tant de manipulation de doigts gras, lézardées par quelques gouttes de café dessinant des arabesques parfois inspirantes, tantôt redoutables.

L’album-photos à la couverture délavée étreint la respiration de Pégase. Il revisite dix années de plénitude sous la fragilité du regard de Muse.

L’écrit d’une main chevrotante s’adresse à Pégase :

Un legs à nos amours réprouvées :
Muse octogénaire, Pégase exhibant une jeune quarantaine.

Un legs à nos amours sublimées :
Pégase immortalisant l’âme poétique de Muse.

Un legs à nos amours créatrices :
Muse et Pégase baignés dans la luminosité des couleurs.

Étrangeté! Les quelques photos accoudées bien droites au quadrillé ne dévoilent aucun visage. Où sont les personnages assis sur la rambarde d’un pont, posant devant les portes d’un temple, penchés côte à côte au-dessus d’un artefact dans un musée, ou attablés à un bistro pour boire du saké? Ni l’une ni l’autre, ni personne ne figurent dans l’album. Inspiré des coulées d’or du kintsugi, le collage de « filaments de washi » suture les déchirures pour ennoblir les têtes arrachées, les corps estropiés!

Cyclope

ton œil ou ta bouche?

Harponnée par ton regard lunaire!

FRANCHIR LE RUBICON!

Escalader ton

phallus

pour

m’y engouffrer.

Tanguer sur nos frissons orgasmiques.

M’ensommeiller

sur la

mousse

de ton

sexe!

Me liquéfier dans un sarcophage de verre.

*Dans le sillage d’Araki, Muse explore l’erotos – l’Éros et le Thanatos – mieux que je ne l’aurai jamais réussi*, s’incline Pégase, détrôné par la mæstria de sa disciple.

© Véronique Morel 2022, texte et photo en noir et blanc

© Luna Troizel, photos : https://www.facebook.com/lunatroizel – reproduction autorisée

La consolation de l’ange

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Lettre de mon sapin

Accablés par la concurrence abyssale des directives sanitaires, mon sapin aux fragiles branches de papier et sa crèche de personnages en pierre à savon plient bagage, retournent à leur port d’attache : boîte de carton, étagère de la bibliothèque. À l’instar de leurs prédécesseurs, les livres trônant au sommet du sapin réclament la même notoriété, cherchent à briller d’un même éclat.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
LA CONSOLATION DE L’ANGE

Grâce au don d’ubiquité, Lange Éluss arpège les clairs-obscurs, dépoussière les rêves, ostracise les désespoirs, rallume les pupilles étoilées de strass.

Son carillon cloche dans le capharnaüm urbain, royaume baigné de miasmes. Lange Éluss inocule la plaine lymphatique d’un remous lacrymal, du trépas de la Lune au Tournesol céleste fauché par la torpeur.

Pour faire la connaissance de Lange Élus, cliquez sur le lien.

© Véronique Morel 2021, texte, photos, montages sonore et vidéo

La consolation de l’ange, Frédéric Lenoir, édition Albin Michel 2019

À train perdu

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours qui s’éternise.

COUVRE-FEU 28 JOURS
À TRAIN PERDU

Le brouillard englue le convoi. Il s’immobilise derrière de hautes barrières métalliques. Une prison? L’odeur âcre pousse hommes femmes et enfants vers un regain de liberté. Ils la paieront de leur vie.

Un homme roule dans la nuit, aveuglé par la poudreuse… oh! vertige semblable au confinement dans la tranchée, étouffé par la poudre d’obus.

Une bombe éclate dans sa tête, l’auto déchiquetée… lui avec.

Rien n’indiquait le passage à niveau.

En rappel, elle leur chante le grand succès de Bécaud. Les fêtards applaudissent, déportés par l’ambiance éthylique. Les décibels se moquent de la boule de feu du Cyclope. Dans un nuage jaune, les cendres cherchent leurs corps.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

À train perdu, Jocelyne Saucier, édition XYZ 2020

Falls – Chutes

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

Couvre-feu 28 jours
Shawinigan Falls

Mon sapin résiste à la tentation de plier l’échine.
Il tient le coup, tout comme la branche Shawinigan Falls;
elle refuse toutefois de laisser couler l’essence de ses aiguilles.

Faute de trouver l’inspiration pour t’amener dans les flatulences des chutes de Shawinigan, laisse-moi te raconter une histoire vraie.

Je suis une fillette de six ans. Depuis un certain temps, la famille a quitté le logement microscopique de Shawinigan pour emménager dans son contraire à Saint-Boniface. Les pièces sont vastes, la lumière rentre à profusion dans la cuisine, la vie est belle.

Ce jour-là, la famille au complet s’engouffre dans la voiture, en route vers le Parc Saint-Michel où habitent mes grands-parents; nous y passerons la fin de semaine.

Sur la descente de la route 153 vers la baie de Shawinigan, nous voilà pris de panique. Nos cris désespérés prennent la teinte de l’eau noircie par les excréments de la Belgo et des usines tout aussi polluantes qui déversent le trop-plein de leurs produits chimiques dans la rivière juxtaposée à leurs murs.

Incroyable, mais vrai : nos parents, assis sur la banquette avant, tenant les plus jeunes de la fratrie sur leurs genoux, rigolent sous cape. « Papa, faites quelque chose! Nous plongeons tout droit dans l’eau. »

Privé du volant, il ne peut ni freiner, ni rebrousser chemin. Une catastrophe annoncée se déplie là, devant nos yeux : une famille entière périt en se jetant aveuglément dans la baie de Shawinigan lira-t-on dans les journaux du lendemain!

D’un geste assuré, monsieur S., conducteur chevronné du taxi de Saint-Boniface, tourne le volant doucement en suivant la courbe de la route au pied de la baie et poursuit son chemin en chantonnant, la voiture longeant maintenant les murs de brique rouge de la Belgo.

Tu croyais avoir vécu les plus invraisemblables émois dans les manèges de La Ronde, attache ta tuque et ressens le mal de ventre de la fillette de six ans dans cette chute vertigineuse.

En guise de récompense, visite avec moi les œuvres éphémères créées avec des rebuts de l’ancienne usine Belgo.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

Shawinigan Falls, Louise Lacoursière, Libre Expression 2020

…au-delà du pouvoir

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
PAULINE MAROIS …AU-DELÀ DU POUVOIR

Encouragé par le regard moqueur de Soleil,
Froid mordant croque la neige de ses dents bleues.
Les larmes glaçonnées abreuveront de leurs coulées
les cendres régénératrices de vie.

…au-delà du pouvoir, je t’accompagne vers ta dernière demeure

…au-delà du pouvoir, tu enracines des parcelles d’espérance
aux êtres chers laissés en plan,
loin de ton regard aimant, de tes bras enveloppants,
de tes mots fredonnés au coin de leur cœur

…au-delà du pouvoir, tu m’appelles à tes côtés pour chérir avec toi l’allégresse des retrouvailles, l’accomplissement d’une vie sans nulle autre pareille

Dans les communautés africaines, ces paroles accompagnent l’inhumation de la personne défunte :

Que la terre de nos ancêtres
te soit douce et légère!

…au-delà du pouvoir, repose en paix.

J’affectionne les cimetières. Dans ces jardins paisibles, j’aime imaginer l’histoire insoupçonnée vécue par les êtres reposant en ces lieux.

Je t’invite à 1 minute 48 de recueillement envers toutes les personnes décédées de la Covid 19 et celles qui les ont précédées dans la mort. Je t’amène visiter des endroits remarquables: le cimetière juif de Cracovie; l’ancien cimetière de Zakopane; le magnifique cimetière d’Oliwa à Gdansk et celui de la Westerplatte agenouillé devant la mer Baltique; finalement un cimetière de la Mauricie… …au-delà du pouvoir.

© Véronique Morel 2021, texte, photos et vidéo

Pauline Marois – au-delà du pouvoir, Élyse-Andrée Héroux, Québec Amérique 2020

L’art de l’architecte

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
L’ART DE L’ARCHITECTE

Je sais. J’accuse un retard. Que voulez-vous! Mon client n’a cessé de tergiverser, de changer d’idée, de me faire reprendre mon travail de A à Z, un véritable embrouillamini. Il me commande de nouveaux changements dans l’allure de sa résidence. Je m’exécute, le client a toujours raison, non? Et le voilà six pieds sous terre sans que j’aie pu lui montrer la dernière version de mes plans.

Ah oui! Vous voulez savoir! Et bien l’histoire débute ainsi.

Lors de nos premiers débroussaillages d’idées, je rencontre un jeune trentenaire mordu de bandes dessinées, et en particulier des châteaux qu’elles contiennent. Il en réclame un largement fenestré, à faire ériger sur les rives du canal dans lequel l’immeuble se mirerait jour et nuit.


L’art de l’architecte?
Concrétiser les fantasmes utopiques du client, n’est-ce pas!

Côté jardin, on devinerait à travers la porte française les arbres matures se déployer tout à côté d’un rocher,

et les lierres grimper à son flanc.

Je lui propose d’ajouter une touche d’élégance au cadrage en sculptant sa silhouette dans le marbre, proposition à laquelle il donne son aval d’un air hautain.

Quand la fortune ne pose aucun frein aux désirs, pourquoi s’en priver?

D’ailleurs, je me demande d’où provenaient les avoirs de mon client excentrique, originaire d’une famille modeste d’une génération à la suivante. Je présume donc que sa richesse origine d’un gain à la loterie ou au casino. Pourquoi m’en inquiéterai-je? Il paie rubis sur l’ongle, je ne peux demander mieux. Allez, assez spéculé, je m’installe à ma table à dessin pour tirer des lignes, tracer des angles avec les équerres, ou des arcs avec le compas.

De la mezzanine à laquelle il se rendrait par l’escalier en grès coquillier, il plongerait son regard dans les ogives ou le laisserait folâtrer dans les glaces qui chavirent le décor sans dessus dessous, suggestion qui enflamme le nouveau « maître du monde ».

Il réclame un âtre aussi vaste qu’une salle de bal… j’exagère à peine. Je réquisitionne le meilleur forgeron apte à fabriquer la crémaillère et les chenets pour donner du panache au foyer.

Sans nouvelles de mon client, je range les plans du château, mes crayons et mes équerres, je décommande le forgeron. Je me tourne vers les appels d’offres pour soumissionner sur des projets architecturaux passionnants.

Après plus de cinq années de silence, mon client surgit déguenillé, la falle basse, timoré. Il m’implore de reprendre mon travail à partir du point A. Son rêve de château décimé comme peau de chagrin, il me suggère de lui dessiner un immeuble tout en hauteur, aussi mince qu’une feuille de papier avec, à ses pieds, un jardinet sur le bord du canal. Son besoin d’être près de l’eau ne s’estompe pas, fort heureusement.

Sauf que cette fois-ci, aucun acompte provisionnel ne m’amène à démarrer le projet. Surpris, j’apprends son décès dans des circonstances ténébreuses, un règlement de compte de la mafia comme on le raconte au journal télévisé.

Je passe me recueillir sur sa stèle dans un jardinet de province. Le Bonhomme en pain d’épices devenu maître du monde sommeille dans la terre de ses ancêtres, aussi nu qu’un vermisseau.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

L’art de l’architecte, Luc NoppenMarc Grignon, éd. Musée du Québec, 1983

40 ans de vues rêvées

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU 28 JOURS
40 ans de vues rêvées

Apprivoiser le montage de mes capsules vidéos me tient lieu de résolution pour 2021.

La structure de mon sapin se compose de livres superposés, choisis au hasard selon leur épaisseur et leur format, du plus grand au plus petit.

Le défi Lettres de mon sapin m’a amenée à répertorier les livres qui le composent, leur titre servant de canevas à ma fabulation.

J’arrive à la « branche de mon sapin » qui raconte le parcours de femmes cinéastes au Québec.

Vois-tu le lien?

Eh oui! le sujet parfait pour me jeter à l’eau.

Je t’invite à Jouer avec le vent puis regarde … comme la neige a neigé!

© Véronique Morel 2021, texte, photos et vidéos

40 ans de vues rêvées, Marquise Lepage, Pascale Navarro, Élodie François, Joëlle Currat, Éditions Somme toute 2014

Le Québec – 50 sites incontournables

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
Le Québec – 50 sites incontournables

Géographe, historien, photographe… Des sommités dans leur domaine nous enrichissent, par leur talent, de connaissances patrimoniales et les encadrent de photographies exceptionnelles.

Que nous réserve cette Lettre de mon sapin? Sans prétention, la guide agite son fanion et nous invite à la suivre dans un voyage farfelu agrémenté des photos tirées ci et là de son album personnel. Posons-nous, l’odyssée promet de nous combler!

Au clair de lune, l’amoureux pare sa Déesse de fleurs de nuit. Dommage! les belles s’étiolent avant la fin de son rêve!

Flûte! Il faut déneiger la voiture! C’est fait!

Partons à l’aventure!

Le jour se lève de l’autre côté du pont.

Surpris par leur présence, un serpent à sornettes cherche à les enjôler, sans avoir protégé ses arrières.

Des génies protecteurs le déjouent, entraînant le couple dans des embrassades salvatrices. Depuis le temps qu’ils s’en privent tous!

Incroyable! La traversée d’un village de pêcheurs
vêtus d’atours colorés abasourdit les touristes.

Au détour du chemin, un boulanger hume les miches sorties du four et leur propose de casser la croûte en sa compagnie.

L’amoureux tente une seconde fois la conquête de sa Dulcinée avec un bouquet de fleurs de macadam. Supporteront-elles la route?

Des paysages surgissent adossés à un cimetière,
un château se dévoile,

sur le promontoire, une Grand-Mère se questionne :
quel est mon meilleur profil, celui de gauche ou de droite?

Il est temps de se reposer pour contempler l’immensité, se laisser hypnotiser par les arabesques du soleil couchant. Dormir sur la mélopée des vagues! Oh! Elle en rêve depuis si longtemps!

L’amoureux enjolive la romance en déposant sa Bergère
sur une couche drapée de fleurs de pommier et de lilas.

Les tourtereaux se réveillent
entourés d’étangs.
L’amoureux s’impatiente :
« Allez, nous devons partir! ».

Rien à faire, elle dialogue
avec une feuille à la peau diaphane.

Astucieux, il détourne l’attention de l’Égérie en lui offrant un miroir de fleurs.

Les voyageurs franchissent les barrières du domaine, traversent une salle aux lanternes, grimpent l’escalier jusqu’au sommet du mât. Pris de vertige, ils atterrissent dans une minuscule cambuse. Rien à faire, ballottés sur les notes d’Hallelujah de Leonard Cohen, ils amerrissent sur le fleuve où un voilier les prend sous son aile.

Échoués sur un territoire non cédé, ils le visitent l’esprit ouvert, curieux d’en apprendre davantage sur ses habitants.

Excités, ils découvrent parc, pont et passage piétonnier, dôme de cristal dans la ville souterraine, gîte – du plus chic au plus inusité.




Ils dormiront à l’Hôtel des insectes, avec stridulations symphoniques comprises dans le forfait.

Pour honorer sa Reine, l’amoureux dépose à ses pieds un arbre de fleurs avec le vif espoir de le transplanter dans leur jardin. Mais… comment le glisser dans les bagages!

Sur le chemin du retour,
ils bifurquent par le Jardin de la paix
où se grave le récit de leur escapade.

Surpris par l’hiver hâtif attelé au renne,

l’amoureux, plein d’ardeur, accroche une fleur gelée

dans la chevelure de l’Ondine frigorifiée!

© Véronique Morel 2021, texte et photos

Le Québec – 50 sites incontournables, Henri Dorion, Yves Laframboise, Pierre Lahoud, Les éditions de l’Homme 2007

Mariette et Christiane

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
Mariette et Christiane

De tout temps, la majorité des Mariette et Christiane de ce monde ont aimé fréquenter l’école, apprendre à lire et à écrire, à calculer, à bricoler, à réfléchir, à nourrir une passion et tout mettre en œuvre pour réaliser leur rêve.

Au printemps de l’an 2020, les autorités ont retiré les enfants de l’école pour leur protection et celle des adultes qu’ils auraient pu contaminer. Quel souvenir ce chambardement tatouera-t-il en eux? Que retiendront-ils de positif face au chaos mondial engendré par un virus? Quels adultes deviendront-ils? Enclins à se soucier de l’autre ou obstinés à ne faire que ce qui leur plaît?

Nous débutons l’année 2021, toujours à débroussailler les chemins de traverse empruntés par le coronavirus qui gère pas mal nos vies.

Après trois semaines à la maison pour le congé scolaire du temps des fêtes, les écoliers retrouvent leurs camarades et les enseignantes. De nouvelles consignes s’appliquent.

Les Mariette*Christiane d’aujourd’hui se jettent dans les bras l’une de l’autre sur le pas de la cour de récréation.

– Hé les filles! Deux mètres!

Les Mariette*Christiane expérimentent les nouvelles directives : porter le couvre-visage en tout temps, sauf durant les récréations à l’extérieur. D’ici la fin juin, elles auront terminé leur parcours primaire, seront devenues de grandes demoiselles qui franchiront la porte du secondaire. Elle ne veulent pas trop imaginer le défi de suivre les cours en alternance, une journée sur deux à l’école, l’autre derrière l’ordinateur à la maison. « Nous avons bien le temps d’y faire face, philosophent-elles. Profitons de notre dernière année d’insouciance et continuons de nous étreindre. En cachette de la surveillante bien sûr! » Elles éclatent de rire sur la même tonalité que la cloche les enjoint de rentrer en classe.

À leurs enfants attablés pour le repas, les Mariette*Christiane des années 1980 racontent les raisons qui obligeaient les directions à fermer l’école, pour une journée ou deux. La température jouait le matamore et régentait les déplacements des autobus scolaires. Les élèves habitant à plus d’un kilomètre de l’école devaient se priver de marcher pour s’y rendre et dépendaient donc maintenant du transport scolaire; le « péril jaune » comme on le nomme avec affection fait loi. Trop risqué de faire rouler les véhicules sur les routes verglacées! Qu’à cela ne tienne, les enfants restent à la maison. Les médias de tout acabit alertaient la population sur les conditions météo à venir et la préparaient de la sorte à mieux affronter les éléments tempétueux aux petites heures le lendemain. Ainsi, dès l’aube, les parents syntonisaient leur poste de radio préféré pour se faire confirmer la fermeture de l’école. Les loupiots resteraient à la « maison » pour la journée… ou devrais-je écrire « dehors ». Les enfants en profitaient pour engloutir une grande bolée d’air froid, se lancer dans la neige, peut-être chausser les patins ou dévaler les pentes s’il s’en trouvait une pas trop loin. Cette journée de congé forcé était la bienvenue, sans créer un drame shakespearien dans la chaumière. La majorité des Mariette*Christiane n’avaient pas encore gagné le marché du travail rémunéré. En « bonnes mamans », elles assuraient la sérénité et la sécurité de leur progéniture en veillant à leur bien-être physique et psychologique.

Les Mariette*Christiane des années 1960 marchaient pour se rendre à l’école. Dans les localités plus populeuses, la neige des trottoirs était tassée pour faciliter les déplacements des piétons. À la campagne toutefois, les Mariette*Christiane devaient elles-mêmes ouvrir le chemin en écrasant la neige fraîchement tombée. Se formaient alors des sentiers piétinés empruntés par une ribambelle d’écoliers en route vers l’école. Beau temps mauvais temps, les enfants bravaient le froid, le vent et parfois même la tempête pour aller quérir les effluves du savoir. Certains gamins franchissaient les murs de l’école en retard, s’étant attardés à façonner des balles de neige qu’ils se lançaient dans un combat épique, alignés derrière les bancs de neige transformés en remparts contre les rafales malicieuses. Ils arrivaient à l’école grelottant, les mitaines de laine boursouflées comme un visage acnéique, la tuque de guingois, le foulard trempé de neige fondue et d’autant de salive et sécrétions nasales. Les orteils n’étaient pas en reste, gelés dans des souliers mal protégés par des bottes de caoutchouc non doublé. Ah! Les hivers des années 1960 étaient froids, généreux en neige, favorables aux galipettes des enfants. Les Mariette*Christiane de cette époque composaient avec l’hiver, s’en faisaient un ami plutôt que de le haïr et chercher à le fuir à tout prix.

En 1943, l’école devenue obligatoire, les Mariette*Christiane fréquentent l’école de rang. Elles s’y rendent à pied, marchent parfois plusieurs milles avant de pouvoir s’asseoir côte à côte sur le grand banc attaché au pupitre dans un espace mal ou trop chauffé, selon que le feu s’est éteint ou qu’une bûche odorante se consume dans le poêle trônant au milieu de la classe. L’institutrice regroupe les enfants selon les âges – les plus jeunes, les plus grands – et leur enseigne à tour de rôle les rudiments des additions et le b-a ba de la calligraphie ou de la dictée pour les plus vieux. Les Mariette*Christiane rêveront d’avoir, à leur tour, un auditoire d’enfants désireux d’apprendre les merveilles de la nature, de se laisser raconter l’histoire des peuples et la géographie des pays, de faire honneur à leur enseignante devant monsieur l’inspecteur.

Au début du XXe siècle, les Mariette*Christiane n’ont pas droit aux études supérieures. Les devancières Marie Gérin-Lajoie, Marie Sirois, Irma Levasseur entre autres défrichent non sans peine le chemin de la connaissance pour toutes les femmes canadiennes-françaises de l’époque. Les Mariette*Christiane du XXIe siècle devraient se faire un devoir de connaître la vie de ces féministes déterminées et reconnaître leur parcours exemplaire emprunté pour qu’en 2021, les jeunes filles puissent aspirer aux plus hautes sphères de la société grâce à des diplômes obtenus d’universités illustres.

Souhaitons aux Mariette*Christiane d’aujourd’hui de garder espoir en l’avenir. À elles de déverrouiller la porte aux prochaines générations, de devenir les bâtisseuses d’un monde respectueux de l’environnement, holistique, empreint d’humanisme et d’altruisme.

© Véronique Morel 2021, texte et photo

Note : trouvée sur Internet, la photo de la classe se rattache à valdunord.blogspot.com et au texte de monsieur Éric Doyon L’école de rang dont le lien s’ouvre dans mon histoire.

Mariette et Christiane, Madeleine Beaudoin et Marie-France Ory, éd. à compte d’autrices, 2020

Vienne 1880-1938

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement.

Mon sapin se déploie en une pyramide de livres, enjolivée d’un collier de lumières multicolores et d’une ribambelle de fleurs de poinsettia en feutrine rouge. Au sommet trône une couronne illuminée déposée dans une faïence provençale.

Ce 9 janvier 2021 à 20 heures débute le couvre-feu. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

Couvre-feu 28 jours – Vienne 1880-1938

Sur cette brique repose l’équilibre de la pyramide : livre costaud, œuvre remarquable, Vienne 1880-1938 sert de socle au sapin. L’honneur lui revient d’ouvrir le bal.

Les jeunes dansent, valsent sur la musique de Strauss. Froufroutent les crinolines, tourbillonnent les tourtereaux autour des demoiselles, la fête bat son plein. Insouciante, bravant les autorités, la tempête, les menaces, la jeunesse s’amuse, le cœur gonflé d’amour. Recluse dans sa chaumière, la vieillesse, elle, redoute les frasques, les étourderies, la nonchalance.

– Un étranger s’infiltre dans le hall, crie-t-on. Son allure menaçante fait craindre le pire. Et s’il nous attaquait? Rentrons vite à la maison.

De nombreux couples quittent la salle dans un chahut innommable, effrayés, gagnés par la panique.

Quelques irréductibles s’avancent vers le hall, au coude à coude derrière la barricade de leurs exhalations. Le plus entreprenant du groupe lève le bras.

– Mais! je ne vois personne, lance-t-il avec dérision. D’où vient cette idée d’agression? Que la fête continue, éructe-t-il.

Les musiciens restés en poste laissent gémir les cordes des violons, les cymbales tonitruent des sarcasmes aux mauviettes qui se sont éclipsées par la porte arrière.

Pourtant, la ville tremble d’effroi. L’intrus s’immisce, embrigade les esprits, endoctrine le peuple. Sans cœur ni loi, le visiteur sournois, venu d’ailleurs, pulvérise les frontières, enflamme les propos, régente le quotidien de la population transie, alertée sans toutefois saisir l’ampleur du drame à survenir.

Car drame il y aura : des morts, des coupables innocents, des délations durant une nuit horrible – la Nuit de cristal! Les lamentations des violons contaminent les quartiers désœuvrés, ensanglantent le décor duquel pleut un fracas de vitres cassées.

Les violons expirent, les cymbales agonisent, les demoiselles pleurent les prétendants déportés, la guerre frappe.

Accompagnée par Histoires sans paroles d’Harmonium symphonique, j’apprivoise le couvre-feu, je vibre au diapason d’une population spoliée, bafouée, meurtrie dans son corps et dans son âme, brûlée vive sur le bûcher de l’intolérance meurtrière.

Puisse ce couvre-feu allumer la conscience d’un vivre-ensemble compatissant, à l’écoute de l’Autre. Recréer un plancher sur lequel valser au rythme de la connivence et de l’altruisme.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

L’Intouchable

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Un conte de Fleurabie

Sous la garde du majordome depuis l’exil des maîtres sur leur yacht privé voguant dans les eaux chaudes de la Mer des Sarcasmes, la bête neurasthénique aboyait à fendre l’âme, déchirait la vitre de la porte-patio de ses griffes fraîchement limées. De fait, le lévrier afghan était passé chez sa toiletteuse la veille. Elle lui avait fait un shampoing et peigné son pelage gris-bleu un long moment tant pour le bien-être de l’animal que pour les frissons qu’elle en éprouvait.

Par un jour drapé d’une nuit minérale, l’Intouchable, arrivé de nulle part, apparut dans le jardin luxuriant d’une demeure cossue à l’ombre des tours du centre-ville.

Le survenant ne payait pas de mine : visage sans bras ni pieds, tignasse ferreuse, yeux menaçants, sourire édenté. En fait, telle était la description donnée par le majordome aux autorités suspicieuses.

Depuis plusieurs mois, les communications se chargeaient de verglas. La population entière sentait les sueurs froides lui brûler le dos. L’État semonçait ses habitants d’éviter de regarder l’Intouchable dans les yeux, au risque d’en mourir.

Au coucher du jour, avant même le lever de la nuit, le majordome installé à la fenêtre épiait l’Intouchable.

La masse informe, ni ronde ni plate, s’incrustait derrière la clôture du jardin au fil des mois s’égrenant d’une lenteur démentielle. Quand l’Intouchable fermerait-il les yeux? Sur quelle tonalité émanerait un son de sa bouche? Le majordome redoutait ce moment tout en mijotant le plan d’aller à sa rencontre, le toucher pour comprendre sa texture, tenter de le faire parler.

Depuis l’atterrissage de l’Intouchable dans le jardin au pied des gratte-ciel, la nuit s’entêtait à ronger la clarté du jour aussi bêtement que le lévrier afghan stressé se grattait le pelage au sang. Il faisait noir comme chez le loup, la population restait confinée, sauf quelques badauds intrépides voulant lorgner les intérieurs des châteaux urbains par les fenêtres éclairées… et qui sait, narguer l’Intouchable!

Ce serait cette nuit. Le majordome, vêtu d’un scaphandre, sortit de la demeure après avoir administré un soporifère au lévrier afghan. Il valait mieux éviter d’affoler l’animal avec pareil déguisement. Les bottes lunaires freinaient l’homme dans sa marche sur la pointe des pieds. Ses pas chancelants alertèrent l’Intouchable. Des yeux délétères bombardèrent la poitrine du majordome d’éclairs rouges sans que celui-ci ne bronche d’un poil. L’Intouchable se déplaça en se contorsionnant, même s’il semblait avoir pris racine. L’attaque aux dards rouges terminée, le majordome risqua une conversation.

– Doux, doux!


La gorge foudroyée par un volcan d’acidité, il poursuivit.

– Hum! Madame? Monsieur? Vous, je ne vous veux aucun mal. Avez-vous faim? Ou soif? D’où venez-vous?

Les poumons en feu, le majordome s’obstinait à traquer l’intrus.

– Hum! Hum! se raclait-il le gosier. Excusez-moi d’avoir mis tant de temps à vous approcher. Vous savez, les autorités m’interdisent, à moi et aux concitoyens, de vous regarder au risque de trouver la mort.

Impavide, l’Intouchable défiait le majordome. Aucune émotion n’éclairait le visage de l’intrus. Le majordome s’approcha de plus en plus de l’Intouchable, allongea le bras…

– Arrêtez! Je vous en supplie, redonnez-moi mon bras! implora le majordome dans une quinte de toux. Je ne vous veux aucun mal. J’espère tout simplement comprendre qui vous êtes, ce que vous nous voulez, comment nous pouvons vous aider à retourner chez vous.

L’Intouchable recracha le bras en se blottissant sur la clôture dentelée.

Tout à coup, une bruine scintillante enveloppa le jardin d’un halo. Affolé, le serviteur voulut se soustraire à cette blancheur le plaçant sur la sellette d’un monde déchu.

Ralenti par son accoutrement, il rampa de peine et de misère jusqu’à la demeure cossue en traînant sa carcasse de limace, asphyxié par des sueurs sulfureuses. La porte-patio fermée derrière lui, il étira son regard fiévreux vers son mercenaire.

L’Intouchable se tenait bien campé
sur un rai de bruine.
Il aspira le majordome dans son vortex.
Le nuage blanc s’éclipsa tel un véhicule céleste s’estompe dans une nuit sans lune.

Au matin, encore somnolent, le lévrier afghan pleura, allongé près d’un scaphandre traversé d’innombrables dards rouges. Vide.

Heureux temps des fêtes
à toi qui aimes me lire.
Santé!
Ensemble, comblons de notre mieux
les besoins des autres!
Ensemble,
vibrons à la Beauté qui nous habite,
celle de notre âme!

Paix et Joie
Heureux Noël
Bonne Année 2021!

© Véronique Morel 2020, texte, photos
Note : les photos de L’Intouchable et de la demeure cossue représentent des emballages cadeaux fabriqués de mes mains en 2019.

Laisser parler la nature

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DÉFI 28 JOURS – Covid-19 – 27 octobre-10 novembre 2020

Je pourrais philosopher sur le temps qui passe, décrire la similitude entre les feuilles qui tombent et mes mots qui s’envolent, provisionner les couleurs qui m’inspirent par leurs clameurs.

Cette fois-ci, je laisse les photos s’exprimer par elles-mêmes. Écoute-les, respire-les, laisse-toi réconforter par l’amadouement de leurs messages.

Les photos du 20 et du 30 octobre te montrent la progression féroce de l’automne.

Les nuages enjolivent le firmament, les jours raccourcissent, …

… les couchers de soleil créent des ciels bleus et roses à couper le souffle!

Ma courte vidéo du 27 octobre capture la tendresse entre la lumière matinale et la feuillaison du souverain vêtu de dorures aveuglantes. Je l’ignore encore : trois jours plus tard, le roi déchu et ses vassaux enguenillés quêteront quelques rayons pour se réchauffer. Je reste émue par la beauté qui s’en dégage.

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéo

Échanges

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Défi 28 jours – Covid-19
17-26 octobre 2020

Toutes ces journées à procrastiner, journées de pluie déprimante ou de soleil faible dans l’automne qui se retire une feuille à la fois, inexorablement, effrayé par le vent qui décapite, celui-là même qui m’attendrit par ses volutes froufroutantes.

Oscillation entre la reconnaissance douloureuse d’avoir négligé mon défi 28 jours et la joie incommensurable de m’être rempli les yeux de beauté, puis d’observer, impuissante, la nature se dévêtir de sa feuillaison flamboyante et amorcer en déclinaisons de jaune or et d’ocre marbré la chute à ses pieds de sa robe déchirée.

Laisse-moi te raconter!

* & *

Interdiction de toucher

Trois courts chagrins

Perché sur la pointe des pieds, le bambin s’étire, s’étire… Jérémie allonge la main à la hauteur de ses yeux qui dévorent le bol posé sur la table, bedonnant de bonbons.

Une voix autoritaire freine l’excitation de l’enfant, lui rappelle l’interdiction de toucher aux jujubes affriolants et l’envoie réfléchir dans sa chambre.

– Cesse tes jérémiades! Halloween viendra… peut-être!

Se charmer en temps de pandémie?

Leurs doigts cherchent la faille où se croiser, le désir rabroué par des griffes accusatrices.

Les mots d’amour s’échappent de leurs cœurs, parcourent le sentier des émotions, montent à la gorge nouée de pudeur, traversent les barreaux de porcelaine d’une dentition aveuglante… frappent le mur de l’Interdit : un masque mouillé d’exhalations étouffées.

La fillette caresse la joue de l’aïeule à travers la vitrine sale de la mort.

Elle contrôle mal sa colère, tabasse la vitre de cris, invective l’Univers de la priver des yeux vaporeux de sa grand-mère, de son sourire dessiné en croche sur une gamme de noires et de blanches, du redoux des mots inaudibles échappés comme des tourterelles aphones, des doigts ravineux enchevêtrés dans l’humus sombre de la mémoire.

– Mémé, qui a laissé ce virus me priver de ta présence? Qui? Pourquoi m’empêche-t-on de toucher une dernière fois ta peau parsemée d’étoiles fanées?

* & *

Réflexions de cheveux

Un cheveu blanc se faufile dans ta crinière noire au détour de ta jeune quarantaine. Tu ne fais ni un ni deux, déracines l’intrus d’un coup sec, sans colère, ni compassion; visage de marbre s’il en est. La blancheur prend du terrain, s’incruste de plus belle, donne une teinte poivre et sel à tes mèches ondulées. Après avoir camouflées les rebelles sous des teintes artificielles, tu laisses l’éblouissement de ta chevelure assagie adoucir ton visage et l’entièreté de ta présence à l’Autre.

* & *

Octobre tire à sa fin. Novembre avance entre chien et loup, enfonce le clou du confinement et de la privation sociale. Mon amie, accroche-toi à la chape de survie tricotée pour te tenir au chaud, retrouve-moi à l’autre bout de ce lien ressourçant aux couleurs euphorisantes jaillies de nos sororités. La voix de Renée Claude me réconforte. Je t’offre sa chanson.

Je t’aime.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Car la mariée…

Vedette

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Défi 28 jours – Covid-19
15-16 octobre 2020

Habillées de robes rouges flamboyantes, les filles d’honneur s’impatientent au pied du clocher. L’inquiétude écrase leurs épaules d’une chape d’incompréhension.

Car la mariée pleure.

Quel incroyable déversement par une journée aussi exceptionnelle! chuchotent-elles.

Elles imaginent la voie où l’entraîner pour la détourner de son désarroi.

Laisseront-elles tomber leurs frondaisons luxuriantes, enhardissant Éole à les dévêtir pour inspirer la promise? Se noieront-elles plutôt dans ses larmes, désenchantées?

Car la mariée pleure.

Le jour passe.
Les filles d’honneur rient,
papotent,
lancent des œillades coquines.

La nuit de noce effleure le miroir.
La nuit de noce effleure le miroir.

L’épousée brasille sur la couche nuptiale,
encense le décor d’une aura fulgurante.

Car la mariée exulte!

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéos

Se laisser parler d’amour

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Défi 28 jours – Covid-19
12-13-14 octobre 2020

La naissance d’une journée
prend la teinte

du regard avec lequel je la peins.



Dans l’exubérance des couleurs se greffe un chiffre à mon âge. À chaque nouvel Octobre, je dépose un fragment de lumière dans la corne d’abondance de ma vie. Aujourd’hui, ma collection s’enrichit d’une soixante-douzième étincelle.




Soixante-douze cristaux de bienveillance dans les yeux; de ritournelles pour te bercer de baisers sur les joues et dans le cœur; de mains ouvertes – gerbes débordantes de pain béni, d’eau de source et de menthe fraîche; de lainage pour te couvrir et de fleurs à mettre dans tes cheveux; de dessins d’enfant et d’harmonie des voix; de sentiers escarpés et de plages blondes; d’immenses besoins de recueillement, et des danses carrées pour divertir les personnes désœuvrées.

Lever les yeux avec des rêves plein la tête.
Baisser le regard vers l’antre des souvenirs.

Vie merveilleuse, je t’habite depuis 72 ans.




© Véronique Morel 2020, texte et photos

Nature

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Défi 28 jours – Covid-19
9-10-11 octobre 2020

Il me fallait quelques jours de ressourcement, d’où mon absence près de toi. Mon éloignement temporaire dans les feuilles d’automne m’a requinquée.

Les mots déposés ici reflètent mes états d’âme, propulsent mon imagination vers des fantaisies débridées. Je te remercie de bien accueillir mes élucubrations. Tes commentaires chaleureux me réjouissent et me stimulent à poursuivre mon défi.

Je te l’apprends peut-être : je réside en pleine métropole à la croisée de deux artères achalandées et pourtant, de mon 7e ciel, j’admire la nature au quotidien, étonnante et bienveillante. Quel privilège de pouvoir profiter du meilleur des deux mondes : les commodités de la ville et l’impétuosité d’une végétation qui m’en met plein la vue!

Pour le défi 9-10-11 jours, je fais silence de mots pour laisser place à des photos et des vidéos prises ces derniers jours en plein soleil ou comme spectatrice de la pluie torrentielle fouettée d’éclairs.

Aujourd’hui j’ai une pensée recueillie pour papa décédé il y a 21 ans, le 11 octobre 2020, jour de l’Action de grâce. De là-haut, il endosse mon regard attendri posé sur les feuilles dentelées du ginkgo striant le bleu du ciel, ou s’épanche avec moi pour entendre le clapotis en provenance de la fontaine.

Faut-il s’éloigner de la peur pour mieux rebondir?

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéos

Bijoux

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Défi 28 jours – Covid-19
8 octobre 2020

Elle se ronge les ongles, inquiète. Où ira-t-elle une fois évincée de son logis? Qui l’hébergera?

L’heure est grave. Elle n’a pas les capacités financières pour se loger à coût plus élevé. Il lui faudra vendre ses bijoux, la seule richesse tangible qui lui reste. Le prix qu’elle en retirera suffira-t-il seulement à payer son prochain mois?

Elle pose le coffret sur ses genoux et l’ouvre. Un voile embrouille sa vue. La sentence du spécialiste lui revient en mémoire :

la progression de votre
dégénérescence maculaire s’accentue.

Ses doigts déformés caressent une gerbe de dahlias montés en épinglette. Roses, violets, orangers? Elle plisse les yeux pour déceler la couleur du bijou et surtout… surtout se creuse les méninges pour retracer d’où il vient, qui le lui a offert. Rien à faire, aucun souvenir ne surgit.

Elle tâte le fond du coffre pour en extraire le dernier bijou. Le fil défraîchi du collier se casse en le soulevant. Les pierres roulent sur le plancher, jusque sous le lit. De peine et de misère, elle s’agenouille pour les récupérer, mêlées à de nombreux moutons de poussière. Elle profite de sa posture pour faire le signe de la croix. Il y a si longtemps qu’elle n’a pas prié.

« Ti-Jésus, tu peux-tu m’aider à voir clair dans ce qui m’arrive? La Ville m’ordonne de quitter la place à cause qui y’a trop de vermine partout dans l’appartement, même chez les voisins. Pis la Ville a nous dit pas où qu’on va aller. J’suis un tipeu découragée. »

conclut-elle en se relevant.

De ses doigts crochus, elle palpe chacune des billes du collier.
Ses yeux abîmés perçoivent quelques sequins bleutés attachés
les uns aux autres.
Plusieurs strass l’éblouissent.
Épuisée, elle oublie de ramasser sept-huit pierres gemmes irrégulières.

À la bijouterie, le commis se mord les joues pour conserver son sérieux.

« Regardez madame, je ne peux pas acheter cette broche-là; elle n’a même plus d’épingle pour la fermer. Puis le collier… ce sont des pierres de pacotille! Il ne vaut rien, si tant est qu’il a valu quelque chose. Ah oui! Certainement une valeur sentimentale, sans plus. Désolé! »

« Maman » crie-t-elle, effondrée.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Gémissements

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Défi 28 jours – Covid-19
7 octobre 2020

Certains jours détonnent. Je fausse autant qu’eux. Sentir les harmoniques de mes os grincer comme un vieux piano désaccordé grafigne le tympan de mon âme. Mon corps s’enfonce dans la grotte inhospitalière de son vieillissement. Mon squelette s’agite au vent, tocsin sonnant l’alarme.

Une chape pandémique embrume mon existence. L’automne s’installe, inexorablement; le soleil frissonne, toussote parfois, le regard humecté de pensées pernicieuses. Puis se ressaisit : « Je ne peux tout de même pas abandonner la race humaine! »

À quand la diminution de la pollution sonore pour laisser place à l’harmonisation de nos pas sur le chant des oiseaux? Quand croirons-nous au bleu du ciel derrière sa déferlante de gémissements? J’aspire à une bouffée d’air large comme un tsunami pour déchirer le voile obstruant notre conscience. Je m’accroche à l’espérance de renouveau à l’échelle de la planète.

Le spectacle de la fin du jour m’enveloppe
de sérénité, me réconforte.

Je me retire dans mes appartements
pour digérer ma journée.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Souvenir impérissable

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Défi 28 jours – Covid-19
6 octobre 2020

Laisse-moi te raconter un souvenir d’écolière.

Hummmmmmm… non. Attends!

Regardons tout d’abord la réalité des enfants d’aujourd’hui.

Les écolières de 2020 révéleront sans doute dans cinquante ans des traumatismes épouvantables et persistants à leurs petits-enfants : l’interdiction d’embrasser grand-maman; les balançoires cadenassées; ne plus fabriquer de forteresses en Lego avec les amies… Émues, les yeux brillants, elles relateront l’expérience hors du commun vécue dans le parc attenant à la cour de récréation. Du moins, je le souhaite de tout cœur.

Accolée au parc devant mon 7e ciel, la cour de récréation de l’école primaire du quartier s’anime des cris de joie ou des galipettes des enfants durant les récréations. Une école, c’est vivant.



Pour sa part, le professeur d’activités physiques amène ses élèves dans le parc pour leur enseigner à lancer le freezbee, à frapper une balle de baseball… « cours, cours » pendant que les camarades au champ tentent de l’attraper. Parfois, ils frappent sur un ballon et comptent un but. Imagine la montée de décibels! Toute cette effervescence me ramène au souvenir dont je veux te parler.

Je suis en 3e année à l’école primaire de Saint-Boniface en Mauricie. Nous sommes sans doute en septembre, les arbres portent encore leur chevelure abondante vert bouteille.

Ma « maîtresse d’école » comme on les appelait à l’époque, Sr Marie Saint-Louis-de-France, F.d.J. (J’ouvre une parenthèse : je peux te la présenter car son nom figure sur mon bulletin scolaire, sinon je n’aurais pas su. Je ferme la parenthèse.)… donc, cette femme élancée dans son costume noir, sourire maternel un tantinet timide, joues couperosées et lunettes à la John Lennon (autre parenthèse : je m’en rappelle exactement comme je te la décris), amène sa classe dans le boisé au fond de la cour et invite les fillettes à s’asseoir sous les arbres. Elle commence l’enseignement de la matière : était-ce le catéchisme, nous faisait-elle la lecture d’une histoire?

Mon cerveau a expulsé ces détails anodins pour s’attarder uniquement au plaisir indélébile gravé en moi : suivre un cours à l’extérieur assise sous un arbre plutôt qu’au pupitre, me laisser cajoler par la musique du vent dans les feuilles, vibrer encore et toujours à l’émerveillement ressenti par cette courte demi-heure inoubliable.

En 2005, l’animatrice d’un atelier de créativité propose
aux participantes d’illustrer,
par le médium de leur choix, un souvenir.
Celui d’être assise à l’ombre d’un feuillu
me revient sans hésitation.
Je peins une flambée de feuilles s’émoustillant,
et je rajoute une percée de soleil qui s’invite dans leur jeu.

À mes tout-petits Hubert, Bastien, Jeanne, Christophe, Henri, Amandine, Rémi et Marion baignés dans les contraintes qu’impose la pandémie, je leur souhaite des « maîtresses d’école » imaginatives, en mesure de les propulser hors des sentiers battus pour incruster en elles et eux un souvenir impérissable.

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéo

Quatre-cinq ans

Vedette

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DÉFI 28 JOURS – Covid-19
5 octobre 2020

Que faisait-elle là?

Que faisait-elle là, seule dans le parc?


Que faisait-elle là, cette enfant de quatre-cinq ans, aussi joufflue qu’un soleil fleuri?

Je m’inquiétais : ça ne se peut pas, une enfant de quatre-cinq ans seule dans un parc à caresser un arbre de ses menottes translucides.

Une toute petite fille de quatre-cinq ans, seule. Et un gros arbre décharné, arthritique, vieillard perclus de rhumatisme à qui elle prodigue tant d’affection. Envolés du cœur de la fillette, des mots silencieux se déposent dans le duramen de l’arbre.

Dois-je aborder l’enfant, la rassurer et m’informer où se trouve sa maman? Son papa? Dois-je lui offrir de la reconduire chez elle?

Envoûtée par sa présence dans le parc près du gros arbre gris chevrotant, j’hésite, paralysée.

J’observe l’enfant. Vaporeuse, délicate, espiègle dans sa juge à carreaux. Le col en dentelle de son chemisier la transfigure en infante magnanime. Qui est-elle, cette petite de quatre-cinq ans qui capte mon attention? La souplesse caressante de sa main sur la peau rugueuse de l’arbre fatigué me subjugue.

Elle fredonne une cantilène pour bercer le vieil arbre :

la fulgurance de tes découvertes navigue
dans tes veines gonflées,
tes succès miroitent sur les rainures de tes os.
J’entends ton souffle palpiter au creux de ma paume
sur ton flanc.
Je t’insuffle ma vivacité, une transfusion d’émerveillement pour braver le noroît redoutable,
tempérer les griffes orageuses.

Je m’imprègne du parfum de cette petite de quatre-cinq ans,
je bois ses yeux estompés sous le retrait du jour,
philtre régénérateur pour calmer mon angoisse.

Je me secoue, me semonce : réveille-toi ma vieille. Demande à cette enfant d’où elle vient, où elle va, que fait-elle seule dans ce parc. Tente de retrouver ses parents pour les rassurer : j’ai vu votre enfant recueillir les confidences d’un vieil arbre dans le parc.

Malgré moi, l’apparition me cloue sur place. Une aura verte l’enveloppe. Est-ce donc un fantôme? Une ange descendue dans le parc au moment où je prenais ma marche matinale? Une extraterrestre aux mains d’or?

Agenouillée au pied de l’arbre, elle se met à pleurer.

Je ne peux pas laisser l’enfant dans cet état sans intervenir. Il me faut la consoler.

Je me penche doucement pour éviter de l’effrayer. Mon souffle était-il trop bruyant pour la faire se volatiliser? Je fonds en larmes, comme une enfant.



– Tu pleures avec moi? chuchote-t-elle. Ne sais-tu pas que je suis toi, chaussée de tes souliers de persévérance, vêtue du magnifique collet de dentelle crocheté par ta grand-mère? Regarde-moi. Ne te vois-tu pas? Ne perçois-tu pas qu’avec mes doigts translucides, je caresse ta peau vieillie, j’honore tes veines gonflées de fatigue, j’apaise tes anxiétés? Je suis toi dans ton inquiétude ou ta bienveillance. Je suis toi penchée vers moi pour me consoler. Je me love dans ton âme, me repais de tes pensées, tes doléances, tes deuils et tes espérances. Je suis toi. Tu es moi.

Comment ne me suis-je pas reconnue? Je sanglote.

Lentement, la petite fille de quatre-cinq ans seule dans le parc à caresser un vieil arbre surgissait d’un placard verrouillé duquel j’avais perdu la clé. Elle a su de l’intérieur raviver ma sensibilité, m’amener à renouer avec un monde fabuleux résonnant de rires et de chansons, aussi bienveillant que celui de mon enfance ensevelie dans le trépas de mes errances.

La petite fille de quatre-cinq ans me caresse de ses doigts translucides et m’injecte la renaissance de la petite fille de quatre-cinq ans qui m’habite.

Alléluia!

© Véronique Morel 2020, texte et photo

© Crédit photo : Ginette Villemure, reproduction autorisée (parc Connaught)

© Crédit photo : Dominique Garneau, reproduction autorisée (tournesol)

Offrande

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Défi 28 jours – Covid 19
4 octobre 2020

Je t’offre mes mots, baume de tendresse à appliquer au besoin pour apaiser tes doutes, tes chagrins, tes peurs. Pour nourrir la confiance.



À toi mon amie
percluse d’arthrose
inquiétée par une douleur au sein
incommodée par les bouffées de chaleur
craintive de faire une chute
déboussolée par les privations sociales
J’offre un bouquet de feuillus multicolores pour calmer ton vague à l’âme.




À toi mon amie
dont les journées s’étirent, interminables
dont les corvées s’accumulent, toujours à reprendre
dont la charge mentale écrase tes épaules
dont les conditions de travail se complexifient
Je cajole ton enfant intérieur.


À toi mon amie
qui ravales tes pleurs
qui étreins la souffrance des sœurs autochtones
qui cries à l’injustice, en silence, recueillie
porteuse d’une lueur d’espoir
J’ouvre mon cœur auréolé de plumes.

À toi mon amie
qui stimules mes réflexions
qui alimentes nos échanges virtuels
qui enjolives notre amitié
qui enrichis la méditation de tes paroles lumineuses
Rejoins-moi devant ce havre de paix.


À toi
époux au regard bienveillant
cousin en quête de sens
frère si loin et si près
fils d’un monde meilleur
Soutiens-nous dans nos terres en jachères.



À toi
Accepte ce ciel bleu serti de nuages indolents
pour dessiner un sourire sur ton front soucieux.

Parce que je t’aime!

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Cerfs-volants

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JOURNAL DU 7e CIEL – 20 mai – 1er juin 2020… (J50-62)


L’arbre à méditations patiente.

Mes doigts ne savent plus calligraphier les lettres, les enrober des couleurs de l’arc-en-ciel, leur donner l’apparence de « ça va bien aller ». Il fallait un repli pour mes textes attachés en farandole. Ils devaient se tapir dans l’antre de l’écoute, dénouer la corde qui les étranglait.

20 mai, jour mémorable d’il y a quarante ans!

Un festival de cerfs-volants se joue devant mes yeux. Je grimpe à l’arbre pour juger leur déploiement, l’originalité de leurs arabesques, la durée de leur vol. Je me désole pour le petit mousse dont l’oiseau de papier s’écrase au sol, tel un projet de pays avorté. La soucoupe, virevoltante comme l’assiette chinoise du jongleur, me donne le tournis. Que dire du paon volant! D’une majesté silencieuse, il plane, porté par la brise minimaliste, brise de connivence, de confiance.

Déconfinement annoncé, ma fille m’invite à une rencontre dans son jardin le dimanche 23 mai. Les enfants pourront nous faire un câlin bedaine. En arrivant chez elle, ma tout-petite s’élance dans les bras de sa maman comme si elle ne l’avait pas vue depuis trois mois. Petit bout de femme et moi nous faisons des bonjours discrets, un sourire derrière mon masque. Elle évite de me toucher, cette enfant si câline en temps normal!

Alanguie, je me renfrogne dans mon fauteuil berçant, un livre à la main. Un motton dans la gorge. Cet état d’abêtissement me taraude, m’écrase au sol plus durement qu’un cerf-volant au souffle coupé. Déboussolée, je sonde ma léthargie.

Il m’aura fallu une semaine pour mettre le doigt sur le bobo, pour enfin pleurer ma peine. Mon vague à l’âme naît de cette expérience : en me voyant, ma tout-petite s’est tournée vers sa mère en criant de joie pour étouffer son trop-plein d’émotion de me retrouver en personne, privée depuis trop longtemps de mes bras aimants. Elle a bien intégré la règle d’éviter de donner des câlins. Je comprends enfin sa réaction de jouer près de moi sans me frôler.

Je suis une femme de touchers. J’accueille les membres de ma famille, mes amies, les gens que j’aime… en les étreignant. Combien de temps faudra-t-il avant de te prendre dans mes bras, heureuse de te saluer, de se raconter, toi et moi? Quand pourrai-je câliner ma tout-petite sans aucune crainte, dans le pur bonheur d’un instant de tendresse? Quand?

Je suis un cerf-volant avec ses hauts et ses bas devant l’arbre
qui devra bientôt passer chez le coiffeur!

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéos

Réfugiée

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J’ai traversé des mers et des continents pour offrir ma destinée à des eaux limpides et des champs verdoyants sous un soleil frileux.

Je viens d’ailleurs. Là où les engins explosifs m’ont jeté du plomb dans l’aile. D’un lieu où nous nous entretuons, où les autorités maintiennent un règne de terreur, où quelques irréductibles habitent les ruines, où les bambins ne jouent plus et les amoureux s’évitent.

Esseulée sur les trottoirs de ma ville d’adoption, je crains les regards inquisiteurs, terrassée par les injures méprisantes comme autant d’obus incrustés dans mes chairs. J’ai peur. Parfois. Du crachat qui souillera mes vêtements. Je tremble malgré la canicule. Je cherche les couleurs de mon enfance et ne trouve que des murs rouge vif dont les multiples fenêtres sourient aux passants. Mes pas quémandent la morsure des grabats meurtriers, ne récoltant que des poussières soulevées par le flot urbain.

Je suis réfugiée dans un pays où le froid gèle les idées et atténue les drames; l’endroit où s’ouvrent des bras accueillants et des repas abondants. Mes papilles explorent des mets à peine épicés. Mes oreilles entendent des musiques feutrées, soyeuses comme peau de pêche. Elles réclament les berceuses râpeuses d’oummi, les youyous des femmes du village célébrant une naissance, un mariage… J’ai perdu mes repères sonores. Derrière la maison, le sifflement du train m’affole. Un réflexe viscéral hurle de m’enfuir, l’alarme d’un bombardement résonne à mes tempes. Troublée, exténuée, je rattrape ma respiration jetée du haut du balcon pour la calmer, lui redonner le tempo. Ici règne la paix.

Un rictus ridiculise ma réflexion. J’insiste : la liberté clame la paix en exultant de joie. Bien sûr, il y a tant de petits conflits désastreux : quête d’identité pour les natifs, propos patriotiques pour les orphelins politiques, dénouements cruels pour les victimes d’agression.

La guerre sur mon territoire natal estropie ses enfants, affame sa population, la condamne à l’itinérance, voire à la torture.

J’ai franchi des océans et des montagnes pour nicher dans un jardin qu’on appelle la Terre. Mes pleurs font croître l’arbuste sur lequel je me suis posée. Le soleil à son zénith réchauffe mal ma carcasse usée, anéantie par l’abandon des miens dans un désert de morts-vivants. Les reverrais-je? Mes larmes forment un miroir bleu dans lequel s’abreuve mon espoir de les retrouver.

Pourquoi les fleurs du jardinet m’éblouissent-elles autant?L'envol-LouiseDucas Leur silence m’indispose, crée le vertige, me donne la nausée. Tout cela est trop propre pour moi. Le froissement du souffle d’un insecte chavire mon cœur; il étourdit mes pensées que j’assomme de reproches délétères. Chérir la quiétude d’un fleuve nordique tandis que mes semblables croupissent dans un oued ensanglanté égratigne ma conscience. Ne devrais-je pas retourner vers les miens, livrer leur combat, mourir de la même haine?

Donnez-moi de l’oxygène!

© Véronique Morel
Photo de Louise Ducas, reproduction autorisée

OÙ CELA NOUS MÈNE-T-IL

Vedette

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Bonjour

Quelle joie de vous retrouver ici, autour de la table. Du coup, j’en doutais. Je me disais… Peu importe. Voilà, vous, jeunes hommes et jeunes femmes, acceptez de prendre part à l’atelier indéfini Où cela nous mène-t-il.

Quelle impolie je fais tout de même! Voilà, je me présente. Carmine, artiste multidisciplinaire. Je peins, je sculpte le vitrail, je crée des vêtements pour chefs de chœur et choristes. Depuis peu, je m’adonne à l’orfèvrerie de bijoux de piercing. Aussi, je carbure à l’aventure depuis toujours : escalade, course en moto ou en trimaran, bunjee et tant d’autres. Rassurez-vous, nous ne nous lancerons pas dans ce type d’aventures.

Du coup, j’animerai l’atelier pour les quatre prochains lundis. Vous participez à celui-ci avec la seule contrainte de pouvoir photographier avec votre téléphone. Ça va, vous en possédez un?

Et toi, je veux m’assurer que tu en possèdes un. Peux-tu me le montrer s’il-te-plaît?

Voilà. Tout est en règle. Débutons.

Du coup, faisons connaissance. Présentez-vous de façon brève en donnant votre prénom et les motifs à vous lancer à l’aveugle dans un projet un peu fou, sans savoir où il nous mène. Ah! Je vois! La gêne vous gagne. Qui plongera en premier?

Un vingtenaire, sculpture albâtre, s’avance sur le bord de sa chaise, se gourme avant d’entonner: Bonjour, je me prénomme Hervé. Sa voix grave enjôle l’auditoire. J’étudie en génie mécanique à Poly. Le contenu non défini de l’atelier me permettra, je l’espère, de me divertir et de m’éloigner de la science le temps d’une soirée. De plus, l’inconnu me titille.

Je m’appelle Olympe. Je me demande si je possède encore la témérité de mes 20 ans, le goût du risque, de l’aventure, celui d’aller à la découverte d’ailleurs passionnants. Je me lance les yeux fermés, confiante et déterminée à relever le défi.

Soixantaine aux tempes grises, l’homme confie être à la retraite. Je m’appelle Alejandro, bonsoir tout le monde! Son accent musico-piquant rallume l’auditoire. Ma petite-fille m’a convaincu de m’inscrire à une activité au lieu de poireauter à l’attendre durant son cours de ballet-jazz. Tant qu’à ne rien faire, aussi bien me jeter dans l’inconnu. Passer le temps, relever un nouveau défi, rencontrer des personnes aussi folles que moi. Excusez! Il entraîne le groupe dans une vague rieuse.

Je me prénomme Moussa. Bonsoir à vous. Mon ami Hervé ici présent m’a tiré l’oreille pour participer. « À deux, ce sera plus stimulant. » qu’il m’a dit. « Ça t’éloignera des nerds de Poly. » Obéissant à Hervé, j’entends aussi ma curiosité s’animer, l’envie de plonger dans le mystérieux. Madame Carmine, est-ce que ça fait mal? Son sourire franchit une muraille de porcelaine immaculée.

Et toi? Du coup, comment t’appelles-tu?

Une mèche mauve devance une tête émergeant du capuchon d’un hoodie, rendant la jeune femme borgne. Un chant d’oisillon inaudible s’envole vers l’assistance.

S’il-te-plaît je te demande de parler plus fort pour que nous puissions t’entendre. Allez, tu le peux.

Ma TS me pousse à rencontrer des gens, à participer à une activité qui me plaira. Je ne sais pas ce qui me plaît. Hésitante … Je suis ici. Certainement pas par goût de l’aventure. La curiosité peut-être. Ou juste pour satisfaire ma TS… et comme je sais faire des photos avec mon téléphone… ben…

Merci beaucoup. Du coup, peux-tu nous dire ton prénom?

… hum hum… Andy.

Merci Andy. Merci à vous aussi d’avoir créé l’atmosphère bon enfant dans laquelle nous nous retrouvons. Voilà, plongeons! Tout d’abord, il ne sera absolument pas question d’autoportrait. Nous allons dans un autre univers. Regardez ici, dans le local, plusieurs éléments disparates meublent l’espace. Du coup, pour les prochaines quinze minutes, je vous demande de photographier à votre guise. Choisissez l’angle, captez deux-trois objets à la fois, peu importe. Pour le moment, nous explorons. Allez, lancez-vous. Du coup, j’espère que vos téléphones sont suffisamment chargés!

Le quintette envahit la grande salle, les clics pétillent. « Place-toi près du pupitre, je vais photographier l’ensemble. » propose Moussa. « Je ne crois pas que ce soit indiqué de me voir dans ta photo. », décline Olympe.

Carmine projette les photos sur l’écran, pointe celle de la ruelle qui ne répond pas à la directive malgré l’originalité de la scène. Elle commente les autres photos et félicite les participants pour leur intérêt manifeste à l’activité. Le temps file à toute vapeur dans ce plaisir de photographier.

Voilà la consigne pour la semaine prochaine : me fournir une photo, deux tout au plus, mais pas n’importe laquelle. Tout au long de la semaine, je vous invite à arpenter les rues de votre quartier en regardant en haut et en bas, tout le tour, pour dénicher des subtilités qui peuvent nous émouvoir, nous surprendre, peu importe. Tout au long de la semaine, ayez l’œil ouvert et le clic à portée de doigt. Du coup, il vous suffira de choisir dans votre porte-folio pour soumettre celle qui vous rejoint le plus. Pour le reste… mystère!!!

Quatre personnes excitées renouent avec plaisir, saluent Carmine, échangent des commentaires sur leurs trouvailles. Andy, retirée dans le capuchon de son hoodie, assombrit un tantinet les retrouvailles. L’animatrice lance l’activité.

J’aime votre enthousiasme. C’est un plaisir pour moi de vous revoir. Voyons vos découvertes. Du coup, à tour de rôle vous commenterez votre photo, ce qu’elle représente pour vous, les émotions, souvenirs, intérêts qu’elle soulève. Qui débute?

Je veux bien.

Alejandro, nous t’écoutons.

J’ai vu cette murale près de la station de métro Mont-Royal. Mon cœur a chaviré tout de suite. J’ai revu ma mère dans ce tableau : Yamara et Terre-Mère. Ma mère m’a allaité avant de mourir d’un cancer du sein.

J’ai immigré ici en 1973, lors du coup d’État au Chili. Je n’avais jamais imaginé voir ma mère sur une murale à Montréal.

Merci beaucoup Alejandro pour ce témoignage. Il m’émeut beaucoup. Du coup, qui veut poursuivre?

Alejandro, tu m’as vraiment touchée avec ton commentaire.

Merci Olympe.

Bien sûr, de nature rebelle, je ne pouvais pas me limiter à une photo; en voici donc deux.

Je m’arrête sec avant de piétiner cette ombre qui traverse le trottoir. Pour moi, elle représente une pellicule de film. Oh la la! Les souvenirs s’étrivent, se bousculent…

S’étrivent, c’est quoi? chuchote le capuchon du hoodie.

S’étrivent… se taquinent répond Olympe. Elle reprend … les souvenirs se bousculent pour briller sur le devant de la scène. Plus tard, je vois ce filet sur un chantier de construction. La vision me catapulte sur l’écran de ma jeunesse, alors participante à la Course autour du monde.

Tu as fait la Course autour du monde, s’exclame Alejandro. J’ai suivi cette compétition à la télévision pendant des années. Quelle expérience tu as dû vivre!

Alejandro, je t’invite à prendre un café pour t’en parler si tu veux bien, propose Olympe.

Du coup, poursuivons. Messieurs? Andy?

Andy, Andy, Andy scandent les universitaires.

Affolée, Andy s’empare de son téléphone sur la table et se précipite vers la sortie. Moussa la rattrape à temps, lui chuchote quelques mots à l’oreille, lui passe le bras autour des épaules. Elle consent à regagner sa place dans le groupe.

Jeunes hommes, je vous en prie! Voilà, Andy a seulement besoin d’être écoutée avec plus de calme. Es-tu prête Andy? À toi.

D’accord Carmine. Quand même, tout le monde va rire de moi! Parce que je suis poche en photo. C’est niaiseux ce que j’ai fait.

Andy, as-tu entendu des moqueries lors des présentations précédentes? Andy caresse sa couette mauve pour se rassurer; serait-ce sa doudou? Du coup, pourquoi le ferait-on pour ta photo? Tu assistes, tu participes, sans doute parce que tu y trouves ton compte, il y a un déclic qui se passe en toi puisque tu persistes. Tu peux nous faire confiance. Allez, plonge!

Toute la semaine, j’ai juste vu des escaliers pis des arbres… y avait jamais rien d’étonnant. J’te dis, j’suis poche! Hier, quand même, j’ai vu un cercle sur le trottoir… comment ça s’appelle?

Un trou d’homme, répond Hervé.

Un trou d’homme… OK. C’est poche!

Andy, arrête. Ne dis plus cela. Ça n’apporte rien. Du coup, dis-nous plutôt comment tu as réagi en voyant ce cercle? Tu as choisi cette photo; il y a sans doute une raison. Dis-nous.

Ben… C’est drôle! Quand j’ai vu ça, j’ai comme vu le tapis tressé dans maison chez ma grand-mère. J’ai comme eu envie de toucher… puis non… ça doit être tellement salaud c’t’affaire-là.

Est-ce que c’est un beau souvenir pour toi?

Un peu. Surtout non. Comment tu t’appelles déjà?

Olympe.

Des fois Olympe, je tournais comme une toupie pour m’amuser. Des fois, je passais mes doigts sur les tresses pour… Andy ravale son mot, déroutée, bouleversée, terrifiée… Des fois, c’était pas l’fun. OK. J’suis fatiguée.

Les participants l’applaudissent; Andy passe sa mèche doudou sur ses yeux.

Andy, c’est super poignant ce que tu racontes. Excuse ma maladresse de tout à l’heure en t’offrant de te protéger. Je vois que tu te défends très bien toute seule. Si tu veux bien, je vais prendre le relais.

C’est beau Moussa. Du coup, nous t’écoutons.

Comme Alejandro, j’ai été chamboulé par cette murale près de la rue Duluth. On dirait mes parents; ils étaient champions internationaux en danse sociale. Mes parents adoptifs sont morts dans le même accident de voiture à trois heures d’intervalle. J’étais abandonné quand ils sont venus me chercher au Sénégal. Encore maintenant, me voilà seul. Heureusement, Hervé me soutient, m’épaule. C’est un frère pour moi.

Allez, frère! lance Hervé en se levant pour faire l’accolade à son ami. Frère? Ça va?

Une dentition immaculée décline une réponse positive.

Me croirez-vous? Hervé s’emballe. Je marche sur la rue de Bienville et paf! Ce magnifique personnage de papier m’apparaît derrière une vitrine. J’obtiens l’autorisation de le photographier.

Il inspirera le personnage principal de mon manga au temps des samouraïs.

Tu as écris un manga, s’enquiert Moussa?

Moussa et Hervé, du coup, vous approfondirez le sujet devant un café, vous aussi. Merci pour vos présentations exceptionnelles. Poursuivons l’atelier du jour. Je vous invite à entrer dans votre monde imaginaire et écrire un texte d’au plus cinquante mots en prose, en poésie, en slam… à votre choix.

Écrire! J’suis tellement poche en écriture. Ça va sortir tout croche. Comment j’va faire?

Andy, fais-toi confiance comme tu nous le montres depuis le début de l’atelier. Je te comprends, cela apeure d’explorer un nouveau médium, de descendre dans une grotte ou d’escalader le Kilimandjaro. Du coup, tu sauras nous surprendre, j’en suis convaincue.

C’est où le Kili… ça là?

C’est un volcan de l’Afrique souffle Moussa à Andy.

Carmine enchaîne: du coup, ce texte s’inspirera de votre photo. Ne la décrivez pas, au contraire tirez-en tout le jus pour la faire s’exprimer. Cinquante mots ou moins. Voilà, compris Olympe?

Tous se bidonnent pendant la distribution par Carmine d’un magnifique calepin et des stylos ou crayons de plomb selon sa préférence à chaque personne.

Quinze minutes avant la fin de l’atelier, Carmine donne les consignes pour le prochain rendez-vous.

Ça va? Voilà, bonne semaine tout le monde. Merci beaucoup pour votre participation. J’apprécie.

Troisième lundi

Bonsoir. Avez-vous pris le temps de vous rencontrer autour d’un café?

Un léger brouhaha anime le groupe, des rires fusent, rappellent l’intensité d’un échange autour d’une pizza. Seule Andy reste cloîtrée dans le capuchon de son hoodie, sa couette mauve pour tout bouclier.

Vous êtes formidables! J’ai reçu vos photos dans le délai convenu. Du coup, jusqu’à maintenant, trouvez-vous l’expérience hasardeuse, inquiétante, déstabilisante?

Pas du tout. Je n’ai pas le sentiment de m’être lancée dans le vide. C’est super chouette cet atelier, mordille Olympe, tournoyant un bonbon dans sa bouche.

J’abonde dans le même sens. Je n’ai jamais été dérouté. Et je ne peux pas dire que c’est excitant. Au retour à la maison, ma petite-fille me questionne sur ma soirée et je réponds : « Baf! Pas grand-chose, on parle de nos photos, on écrit… J’ai hâte de me surprendre moi-même. »

Andy, veux-tu nous dire quelque chose?

La tortue sort de sa coquille, étire le cou et gazouille.

En tous cas, ma TS est fière de moi. Elle dit que c’est un exploit pour moi d’avoir participé tout le temps.

Du coup, es-tu d’accord avec ta TS?

Ben… oui pis non. C’est vrai que je continue… parce que j’aime… elle soulève sa mèche mauve du revers de la main … à cause de vous autres. Et non, je suis trop poche avec la photo que je t’ai envoyée.

Je vais te surprendre avec la prochaine directive. Du coup, merci pour ta persévérance, Andy.

Lui soupçonnant une fragilité à fleur de peau, les autres se limitent à la complimenter des yeux.

Êtes-vous prêts pour la suite?

Carmine insère dans un bol cinq bouts de papier sur lesquels sont écrits les prénoms des cinq personnes prenant part à l’atelier. Elle projette sur l’écran les cinq photos reçues par courriel, sans que celles-ci identifient les photographes.

Aujourd’hui, nous nous déstabilisons. Je vais piger au hasard un nom qui sera attribué au fur et à mesure aux cinq photos montrées sur l’écran.

Je n’ai pas vu votre texte inspiré de votre photo fétiche. À partir de celle qui vient de vous être attribuée, vous devez écrire une ou deux phrases à intégrer au début, à l’intérieur ou à la fin de votre texte, en obtenant une cohérence entre les deux. Allez. Inspiration, apparais-nous!

L’atelier se poursuit par un brassage d’idées menant à la rédaction d’une invitation à l’exposition-lecture pour la semaine suivante.

Quatrième lundi

Le quintette entre dans la salle, Andy au milieu du groupe. Cinq panneaux s’alignent, dévoilant les photos et les textes des membres de l’atelier Où cela nous mène-t-il. L’exposition démontre le talent artistique de Carmine ayant su créer un éblouissement pour les yeux, illustrer l’émotion vive des personnages de l’atelier.

Une demi-heure plus tard, une vingtaine de personnes prennent place devant les tableaux. La présentation, convenue avec Carmine par courriel, peut débuter.

Olympe fait son cinéma

La concurrente termine le montage des images extraites de la pellicule. Elles colorent l’écran. Les mosaïques de la médina réjouissent la participante, fière du résultat. Elle poste son film à l’extrême limite du temps alloué. Le jury rendra un verdict sévère: trop échevelé, incohérence entre les scènes, la participante manque de sérieux. La note tombe: évincée.

Vipère des sables, s’enfouir dans le désert marocain pour y ensevelir sa déception.


Le mangaka Hervé

L’Oiseau au pouvoir mirifique porte ombrage à Samouraï,
plonge le peuple effrayé dans une torpeur à générer le chaos.

Samouraï invite Soleil à descendre dans le cercle immense tracé de son sabre autour du territoire. L’astre du jour perce le cercle et entraîne Samouraï dans les profondeurs de l’Univers agité de vibrations. De ses feux les plus ardents, Soleil s’éjecte du trou, propulse Samouraï sur une glissière de lave. Le mont Fidji naît de ces cendres.


Alejandro honore la Pachamama

Des fleurs de tes seins coulait le nectar de la vie, je m’enivrais du parfum de ta peau, le soleil de tes yeux illuminait mon visage repu.

« Wawaja, juma pachpaw atinisiñama. Jumax askinak jikxatäta.* » me confient les cernes suintants de tes tumeurs cancéreuses.

L’oiseau-mouche se sustente, nourrit ses rêves,
boit à la source vive de la nature féconde.

Une petite-fille s’élance vers son grand-père, l’enlace, charmée par les images et les mots.


Moussa danse

Enfant des ténèbres dans la tour de l’abandon
Enfant funambule sur le fil d’un cocon

Froidure griffant sa chair d’ébène
Morsure sciant son cœur de glace

Maman elfe – Papa toxedo
Dansent dans les vapeurs délétères

Blanc de mémoire – nocturne


Andy et Fifille

Un rond. Faire fluffer sa jupe en tournant sur le tapis rond dans l’salon de grand-mère. Grincheux soulève Fifille, étourdie. Un trou d’homme. Il pue le méchant. C’est poche!


Gravé dans ses tripes, tatouage sur le silence de Fifille.

Carmine prend la parole : Andy et Moussa veulent pousser plus loin le défi; du coup, ils nous récitent ce court texte d’une seule voix.

Prise de vertige, Andy glisse sa main dans celle ambrée de Moussa pour rétablir son équilibre émotif. Le jeune homme tisse ses doigts à ceux d’Andy, scellant dans leur corps un frisson torride.

Andy et Moussa s’élancent sur la même inspiration.

(* Mon fils, fais-toi confiance. Tu réussiras. – Langue aymara)

© 2024 Véronique Morel, texte et photos

Note : Je remercie les artistes de rue de m’offrir des œuvres si inspirantes.

Vidéo

Ô’MER

Vedette

Étiquettes

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Un conte de
Fleurabie

L’histoire raconte le parcours intemporel d’une Bulle, de sa formation à sa transformation.

Peinte d’un voile translucide aux couleurs de l’arc-en-ciel, Ô’Mer pavane ses courbes des fosses marines encore vierges jusqu’aux dents de la mer contournées grâce à ses cabrioles insouciantes.

Curieuse, elle bamboche, tournoie, monte en surface, redescend dans les profondeurs. Rien ne l’effraie, ne la ralentit ou l’arrête.

Ses explorations des couches profondes d’un territoire aqueux réveillent sa solitude. Fatiguée de ses virées inespérées certes, inassouvies sans doute, elle tente de comprendre ce qui lui manque. Y a-t-il d’autres bulles? souffle-t-elle en son for intérieur.

Elle se pose avec délicatesse sur la fosse dorsale d’un papillon des mers, prête à se laisser bercer, songeuse.

Donc, Bul’Are, univers à construire dans lequel s’activeront des bulles vaillantes et enjouées, prend forme dans l’imaginaire de notre personnage central. Des maisonnettes les abriteront à tour de rôle pour s’esquiver des prédateurs. Prédateur! Quel mot incongru glougloute la rêveuse pour elle-même! Ses pensées se multiplient. Je décorerai l’endroit d’algues alpines de la longueur d’un cheveu d’arcanson et des sources enjoliveront les places.

Sitôt pensé, l’eau des fontaines éclabousse ses rêveries articulées dans sa rondeur intérieure.

Un gargouillement la réveille, la secoue, l’intrigue : s’y déploient, exhalées de son souffle et catapultées dans la sphère, des bulles indisciplinées, minuscules ou énormes, roses, vertes, jaunes ou bleues, translucides. En attente d’une directive, elles s’installent dans les maisonnettes.

Déshydratée après tant d’effort, Ô’Mer crie famine. Telles des lucioles argentées, les bulles…

Les Bul’Ariss, dignes résidentes de Bul’Are, se précipitent donc aux fontaines dispersées sur le territoire pour apporter l’eau vivante à leur déesse Ô’Mer. N’exigeant aucune explication, les Bul’Ariss s’affairent à abreuver Ô’Mer sans relâche, pour lui préserver son teint multicolore bien sûr, et lui fournir l’eau-de-Vie, stimulant incontestable pour animer ses troupes dans l’accomplissement de leur tâche.
Le rituel se répète au rythme des marées, des rais lunaires projetés sur les flots, et parfois même au-delà de la régularité des interventions : combler le besoin urgent de sustenter Ô’Mer, pour la prémunir d’un dégonflement humiliant.

Les Bul’Ariss collaborent, se succèdent auprès d’Ô’Mer, veillent jour et nuit au confort de celle qui les a formées, semblables au ballon gonflé par le souffleur de verre. Excitées par la découverte interminable des fontaines de Bul’Are desquelles sourcent une eau claire, limpide, abondante, désaltérante, les Bul’Ariss saisissent la valeur intrinsèque de cet élixir, le protègent, le respectent pour nourrir Ô’Mer à tout jamais.

Certaines Bul’Ariss remarquent peu à peu l’assombrissement des parois de Bul’Are. Intriguées, elles se relaient au guet, veulent découvrir d’où provient ce nuage noir.
Plus étonnant, d’autres Bul’Ariss débusquent un comportement irrégulier parmi des congénères. Les espionnes comprennent le manège : quelques Bul’Ariss permettent à un prédateur l’extraction jusqu’à plus soif de l’eau des fontaines contre le remplacement d’Ô’Mer et le contrôle indiscutable de Bul’Are.
Accolées à la paroi circulaire de leur territoire, plusieurs Bul’Ariss lèvent le poing, réclament la protection de l’eau, essence vitale pour la survie de leur déesse. Quelle impertinence de vouloir détrôner Ô’Mer, s’indignent la majorité des Bul’Ariss! Pourquoi se priver d’exploiter cette richesse incolore et inodore pour atteindre nos objectifs, martèlent dans un ricanement les Bul’Ariss complotistes?

Belle Zébrute sort de l’ombre : le siphon aspire la paroi translucide d’Ô’Mer, exerce une adhérence vibrante et constante, interminable, pompe l’eau à un rythme effréné. Bientôt, les fontaines seront taries.

L’inquiétude s’intensifie, la colère gronde. As-tu remarqué? L’eau change de couleur démontre la Bul’Ariss devant l’une des fontaines. Avec cette apparence inhabituelle, je la juge impropre à la consommation professe une résidente de Bul’Are. Tellement, poursuit-elle, que nous voyons déjà dépérir Ô’Mer. Sa surface extérieure se flétrit, son regard s’assombrit, devient lugubre. Tout chez elle montre des signes de fin de règne.

Redoutant une catastrophe, affolées, les Bul’Ariss forent autour des algues pour y récupérer l’eau qui les alimente. Par tous les moyens, elles partent à la conquête de l’eau, peu importe où elle se trouve, dans l’espoir de sauver Ô’Mer d’une disparition par implosion.

Que se passe-t-il? Un branle-bas indéfinissable agite l’univers d’Ô’Mer. Plaquées contre les parois colorées de leur territoire, les Bul’Ariss s’étourdissent bien malgré elles dans ce manège furibond.

Bul’Are roule, roule, combat des vagues écumeuses destructrices, tournoie dans l’œil d’un ouragan, escalade un nuage d’orage et s’écoule, cabossée, en une chute d’eau sur la grève d’un milieu sphérique comme elle, étranger, consternant.

Étonnées, les Bul’Ariss observent Ô’Mer gruger la plage, s’enduire de glaise, se mouler en divinité mystérieuse si dissemblable de la forme ronde et colorée tant aimée.

Sertie d’une beauté incomparable, une Dame se lève, … Ô’Mer… se nomme-t-elle toujours Ô’Mer? s’émeuvent les Bul’Ariss. La Dame marche vers un vieillard adossé à un tronc carbonisé. Il la reconnaît : Terre-Mère! Vous êtes de retour! articule-t-il d’une voix caverneuse, terrifiante pour les Bul’Ariss.

Terre-Mère enroule sa voix à celle du vieillard pour que résonne ce chant parvenu du fond des âges.


: Ô’MER

C’est une chanson pour les enfants qui naissent et qui vivent
Entre l’acier et le bitume, entre le béton et l’asphalte,
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin.

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.
Il brillait au soleil comme un fruit défendu.
Non, ce n’était pas le paradis ni l’enfer
Ni rien de déjà vu ou déjà entendu.
Lalala, lalala, lalala

Il y avait un jardin, une maison, des arbres,
Avec un lit de mousse pour y faire l’amour
Et un petit ruisseau roulant sans une vague
Venait le rafraîchir et poursuivait son cours.

Il y avait un jardin grand comme une vallée.
On pouvait s’y nourrir à toutes les saisons,
Sur la terre brûlante ou sur l’herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n’avaient pas nom.

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.
Il était assez grand pour des milliers d’enfants.
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents.

Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître,
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus?
Où est cette maison toutes portes ouvertes,
Que je cherche encore mais que je ne trouve plus?

Il y avait un jardin grand comme une vallée.
On pouvait s’y nourrir toutes les saisons,
Sur la terre brûlante ou sur l’herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n’avaient pas nom.

Il y avait un jardin qu’on appelait la terre.
Il était assez grand pour des milliers d’enfants.
Il était habit jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents.

Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître,
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus?
Où est cette maison toutes portes ouvertes,
Que je cherche encore mais que je ne trouve plus?

Paroles et musique de la chanson: Georges Moustaki

© Véronique Morel 2023, texte et photos

Kintsugi de papier

Vedette

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– Madame, puis-je vous photographier?

Charmée par les doigts effilés du poète à l’image, elle enfile le chiton de Muse pour suivre Pégase.

Des bancs publics aux sofas élimés, des roses à la main aux verres sur le guéridon, du lit de neige à la chambre noire : Muse allonge les bras, les yeux ou le sourire, expose son corps défraîchi aux rais de lune, sa vulnérabilité ou son excentricité à l’œil affamé du cyclope.

Pégase adulera sa Muse, fouillera parmi les secrets noyés dans les sillons du visage, imprimera sur la pellicule argentique le grain de la peau fanée, mettra à nu la déchéance des doigts – cailloux tordus de douleur.

Adepte d’Araki Nobuyoshi, Pégase imprégnera Muse de l’approche artistique de son mentor, étalant devant elle quelques recueils chéris comme des pierres précieuses :

Diary Sentimental Journey

Shiki-in

Tombeau Tokyo

Muse s’extasiera devant ces œuvres controversées, s’émouvra au récit du « temple dépotoir où l’on jetait le corps des courtisanes mortes sans famille » – fille de joie, n’a-t-elle pas suffoqué, pendant plus de trente ans, dans la saumure de l’enfer, sacrifiée aux vautours? –, se glissera en toute candeur dans l’abandon de ses scrupules, ouverte à l’offrande des sens.

Tous les alibis servent de tremplin pour capturer les mouvements de Muse, ses rires, ses caresses, ses moues, ses pieds nus, ses regards inquiets.

Dix années ont coulé entre leurs bras amoureux. Puis… Muse rompt le charme, immobilisée dans l’antre de bienveillance, tout de même hors du temps. Ses cheveux deviennent d’étranges fils d’acier; ses ongles jaunissent; un voile embrume son regard. Muse ne reconnaît plus Pégase, s’en éloignera jusqu’à l’immolation de son essence vitale.

Ouvert devant ses yeux, le cahier à spirale le subjugue : feuilles quadrillées cornues, flétries par tant de manipulation de doigts gras, lézardées par quelques gouttes de café dessinant des arabesques parfois inspirantes, tantôt redoutables.

L’album-photos à la couverture délavée étreint la respiration de Pégase. Il revisite dix années de plénitude sous la fragilité du regard de Muse.

L’écrit d’une main chevrotante s’adresse à Pégase :

Un legs à nos amours réprouvées :
Muse octogénaire, Pégase exhibant une jeune quarantaine.

Un legs à nos amours sublimées :
Pégase immortalisant l’âme poétique de Muse.

Un legs à nos amours créatrices :
Muse et Pégase baignés dans la luminosité des couleurs.

Étrangeté! Les quelques photos accoudées bien droites au quadrillé ne dévoilent aucun visage. Où sont les personnages assis sur la rambarde d’un pont, posant devant les portes d’un temple, penchés côte à côte au-dessus d’un artefact dans un musée, ou attablés à un bistro pour boire du saké? Ni l’une ni l’autre, ni personne ne figurent dans l’album. Inspiré des coulées d’or du kintsugi, le collage de « filaments de washi » suture les déchirures pour ennoblir les têtes arrachées, les corps estropiés!

Cyclope

ton œil ou ta bouche?

Harponnée par ton regard lunaire!

FRANCHIR LE RUBICON!

Escalader ton

phallus

pour

m’y engouffrer.

Tanguer sur nos frissons orgasmiques.

M’ensommeiller

sur la

mousse

de ton

sexe!

Me liquéfier dans un sarcophage de verre.

*Dans le sillage d’Araki, Muse explore l’erotos – l’Éros et le Thanatos – mieux que je ne l’aurai jamais réussi*, s’incline Pégase, détrôné par la mæstria de sa disciple.

© Véronique Morel 2022, texte et photo en noir et blanc

© Luna Troizel, photos : https://www.facebook.com/lunatroizel – reproduction autorisée

La consolation de l’ange

Vedette

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Lettre de mon sapin

Accablés par la concurrence abyssale des directives sanitaires, mon sapin aux fragiles branches de papier et sa crèche de personnages en pierre à savon plient bagage, retournent à leur port d’attache : boîte de carton, étagère de la bibliothèque. À l’instar de leurs prédécesseurs, les livres trônant au sommet du sapin réclament la même notoriété, cherchent à briller d’un même éclat.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
LA CONSOLATION DE L’ANGE

Grâce au don d’ubiquité, Lange Éluss arpège les clairs-obscurs, dépoussière les rêves, ostracise les désespoirs, rallume les pupilles étoilées de strass.

Son carillon cloche dans le capharnaüm urbain, royaume baigné de miasmes. Lange Éluss inocule la plaine lymphatique d’un remous lacrymal, du trépas de la Lune au Tournesol céleste fauché par la torpeur.

Pour faire la connaissance de Lange Élus, cliquez sur le lien.

© Véronique Morel 2021, texte, photos, montages sonore et vidéo

La consolation de l’ange, Frédéric Lenoir, édition Albin Michel 2019

À train perdu

Vedette

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours qui s’éternise.

COUVRE-FEU 28 JOURS
À TRAIN PERDU

Le brouillard englue le convoi. Il s’immobilise derrière de hautes barrières métalliques. Une prison? L’odeur âcre pousse hommes femmes et enfants vers un regain de liberté. Ils la paieront de leur vie.

Un homme roule dans la nuit, aveuglé par la poudreuse… oh! vertige semblable au confinement dans la tranchée, étouffé par la poudre d’obus.

Une bombe éclate dans sa tête, l’auto déchiquetée… lui avec.

Rien n’indiquait le passage à niveau.

En rappel, elle leur chante le grand succès de Bécaud. Les fêtards applaudissent, déportés par l’ambiance éthylique. Les décibels se moquent de la boule de feu du Cyclope. Dans un nuage jaune, les cendres cherchent leurs corps.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

À train perdu, Jocelyne Saucier, édition XYZ 2020

Falls – Chutes

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

Couvre-feu 28 jours
Shawinigan Falls

Mon sapin résiste à la tentation de plier l’échine.
Il tient le coup, tout comme la branche Shawinigan Falls;
elle refuse toutefois de laisser couler l’essence de ses aiguilles.

Faute de trouver l’inspiration pour t’amener dans les flatulences des chutes de Shawinigan, laisse-moi te raconter une histoire vraie.

Je suis une fillette de six ans. Depuis un certain temps, la famille a quitté le logement microscopique de Shawinigan pour emménager dans son contraire à Saint-Boniface. Les pièces sont vastes, la lumière rentre à profusion dans la cuisine, la vie est belle.

Ce jour-là, la famille au complet s’engouffre dans la voiture, en route vers le Parc Saint-Michel où habitent mes grands-parents; nous y passerons la fin de semaine.

Sur la descente de la route 153 vers la baie de Shawinigan, nous voilà pris de panique. Nos cris désespérés prennent la teinte de l’eau noircie par les excréments de la Belgo et des usines tout aussi polluantes qui déversent le trop-plein de leurs produits chimiques dans la rivière juxtaposée à leurs murs.

Incroyable, mais vrai : nos parents, assis sur la banquette avant, tenant les plus jeunes de la fratrie sur leurs genoux, rigolent sous cape. « Papa, faites quelque chose! Nous plongeons tout droit dans l’eau. »

Privé du volant, il ne peut ni freiner, ni rebrousser chemin. Une catastrophe annoncée se déplie là, devant nos yeux : une famille entière périt en se jetant aveuglément dans la baie de Shawinigan lira-t-on dans les journaux du lendemain!

D’un geste assuré, monsieur S., conducteur chevronné du taxi de Saint-Boniface, tourne le volant doucement en suivant la courbe de la route au pied de la baie et poursuit son chemin en chantonnant, la voiture longeant maintenant les murs de brique rouge de la Belgo.

Tu croyais avoir vécu les plus invraisemblables émois dans les manèges de La Ronde, attache ta tuque et ressens le mal de ventre de la fillette de six ans dans cette chute vertigineuse.

En guise de récompense, visite avec moi les œuvres éphémères créées avec des rebuts de l’ancienne usine Belgo.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

Shawinigan Falls, Louise Lacoursière, Libre Expression 2020

…au-delà du pouvoir

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
PAULINE MAROIS …AU-DELÀ DU POUVOIR

Encouragé par le regard moqueur de Soleil,
Froid mordant croque la neige de ses dents bleues.
Les larmes glaçonnées abreuveront de leurs coulées
les cendres régénératrices de vie.

…au-delà du pouvoir, je t’accompagne vers ta dernière demeure

…au-delà du pouvoir, tu enracines des parcelles d’espérance
aux êtres chers laissés en plan,
loin de ton regard aimant, de tes bras enveloppants,
de tes mots fredonnés au coin de leur cœur

…au-delà du pouvoir, tu m’appelles à tes côtés pour chérir avec toi l’allégresse des retrouvailles, l’accomplissement d’une vie sans nulle autre pareille

Dans les communautés africaines, ces paroles accompagnent l’inhumation de la personne défunte :

Que la terre de nos ancêtres
te soit douce et légère!

…au-delà du pouvoir, repose en paix.

J’affectionne les cimetières. Dans ces jardins paisibles, j’aime imaginer l’histoire insoupçonnée vécue par les êtres reposant en ces lieux.

Je t’invite à 1 minute 48 de recueillement envers toutes les personnes décédées de la Covid 19 et celles qui les ont précédées dans la mort. Je t’amène visiter des endroits remarquables: le cimetière juif de Cracovie; l’ancien cimetière de Zakopane; le magnifique cimetière d’Oliwa à Gdansk et celui de la Westerplatte agenouillé devant la mer Baltique; finalement un cimetière de la Mauricie… …au-delà du pouvoir.

© Véronique Morel 2021, texte, photos et vidéo

Pauline Marois – au-delà du pouvoir, Élyse-Andrée Héroux, Québec Amérique 2020

L’art de l’architecte

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Lettres de mon sapin

Pour garder espoir, nous laisserons la crèche et le sapin allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
L’ART DE L’ARCHITECTE

Je sais. J’accuse un retard. Que voulez-vous! Mon client n’a cessé de tergiverser, de changer d’idée, de me faire reprendre mon travail de A à Z, un véritable embrouillamini. Il me commande de nouveaux changements dans l’allure de sa résidence. Je m’exécute, le client a toujours raison, non? Et le voilà six pieds sous terre sans que j’aie pu lui montrer la dernière version de mes plans.

Ah oui! Vous voulez savoir! Et bien l’histoire débute ainsi.

Lors de nos premiers débroussaillages d’idées, je rencontre un jeune trentenaire mordu de bandes dessinées, et en particulier des châteaux qu’elles contiennent. Il en réclame un largement fenestré, à faire ériger sur les rives du canal dans lequel l’immeuble se mirerait jour et nuit.


L’art de l’architecte?
Concrétiser les fantasmes utopiques du client, n’est-ce pas!

Côté jardin, on devinerait à travers la porte française les arbres matures se déployer tout à côté d’un rocher,

et les lierres grimper à son flanc.

Je lui propose d’ajouter une touche d’élégance au cadrage en sculptant sa silhouette dans le marbre, proposition à laquelle il donne son aval d’un air hautain.

Quand la fortune ne pose aucun frein aux désirs, pourquoi s’en priver?

D’ailleurs, je me demande d’où provenaient les avoirs de mon client excentrique, originaire d’une famille modeste d’une génération à la suivante. Je présume donc que sa richesse origine d’un gain à la loterie ou au casino. Pourquoi m’en inquiéterai-je? Il paie rubis sur l’ongle, je ne peux demander mieux. Allez, assez spéculé, je m’installe à ma table à dessin pour tirer des lignes, tracer des angles avec les équerres, ou des arcs avec le compas.

De la mezzanine à laquelle il se rendrait par l’escalier en grès coquillier, il plongerait son regard dans les ogives ou le laisserait folâtrer dans les glaces qui chavirent le décor sans dessus dessous, suggestion qui enflamme le nouveau « maître du monde ».

Il réclame un âtre aussi vaste qu’une salle de bal… j’exagère à peine. Je réquisitionne le meilleur forgeron apte à fabriquer la crémaillère et les chenets pour donner du panache au foyer.

Sans nouvelles de mon client, je range les plans du château, mes crayons et mes équerres, je décommande le forgeron. Je me tourne vers les appels d’offres pour soumissionner sur des projets architecturaux passionnants.

Après plus de cinq années de silence, mon client surgit déguenillé, la falle basse, timoré. Il m’implore de reprendre mon travail à partir du point A. Son rêve de château décimé comme peau de chagrin, il me suggère de lui dessiner un immeuble tout en hauteur, aussi mince qu’une feuille de papier avec, à ses pieds, un jardinet sur le bord du canal. Son besoin d’être près de l’eau ne s’estompe pas, fort heureusement.

Sauf que cette fois-ci, aucun acompte provisionnel ne m’amène à démarrer le projet. Surpris, j’apprends son décès dans des circonstances ténébreuses, un règlement de compte de la mafia comme on le raconte au journal télévisé.

Je passe me recueillir sur sa stèle dans un jardinet de province. Le Bonhomme en pain d’épices devenu maître du monde sommeille dans la terre de ses ancêtres, aussi nu qu’un vermisseau.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

L’art de l’architecte, Luc NoppenMarc Grignon, éd. Musée du Québec, 1983

40 ans de vues rêvées

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU 28 JOURS
40 ans de vues rêvées

Apprivoiser le montage de mes capsules vidéos me tient lieu de résolution pour 2021.

La structure de mon sapin se compose de livres superposés, choisis au hasard selon leur épaisseur et leur format, du plus grand au plus petit.

Le défi Lettres de mon sapin m’a amenée à répertorier les livres qui le composent, leur titre servant de canevas à ma fabulation.

J’arrive à la « branche de mon sapin » qui raconte le parcours de femmes cinéastes au Québec.

Vois-tu le lien?

Eh oui! le sujet parfait pour me jeter à l’eau.

Je t’invite à Jouer avec le vent puis regarde … comme la neige a neigé!

© Véronique Morel 2021, texte, photos et vidéos

40 ans de vues rêvées, Marquise Lepage, Pascale Navarro, Élodie François, Joëlle Currat, Éditions Somme toute 2014

Le Québec – 50 sites incontournables

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
Le Québec – 50 sites incontournables

Géographe, historien, photographe… Des sommités dans leur domaine nous enrichissent, par leur talent, de connaissances patrimoniales et les encadrent de photographies exceptionnelles.

Que nous réserve cette Lettre de mon sapin? Sans prétention, la guide agite son fanion et nous invite à la suivre dans un voyage farfelu agrémenté des photos tirées ci et là de son album personnel. Posons-nous, l’odyssée promet de nous combler!

Au clair de lune, l’amoureux pare sa Déesse de fleurs de nuit. Dommage! les belles s’étiolent avant la fin de son rêve!

Flûte! Il faut déneiger la voiture! C’est fait!

Partons à l’aventure!

Le jour se lève de l’autre côté du pont.

Surpris par leur présence, un serpent à sornettes cherche à les enjôler, sans avoir protégé ses arrières.

Des génies protecteurs le déjouent, entraînant le couple dans des embrassades salvatrices. Depuis le temps qu’ils s’en privent tous!

Incroyable! La traversée d’un village de pêcheurs
vêtus d’atours colorés abasourdit les touristes.

Au détour du chemin, un boulanger hume les miches sorties du four et leur propose de casser la croûte en sa compagnie.

L’amoureux tente une seconde fois la conquête de sa Dulcinée avec un bouquet de fleurs de macadam. Supporteront-elles la route?

Des paysages surgissent adossés à un cimetière,
un château se dévoile,

sur le promontoire, une Grand-Mère se questionne :
quel est mon meilleur profil, celui de gauche ou de droite?

Il est temps de se reposer pour contempler l’immensité, se laisser hypnotiser par les arabesques du soleil couchant. Dormir sur la mélopée des vagues! Oh! Elle en rêve depuis si longtemps!

L’amoureux enjolive la romance en déposant sa Bergère
sur une couche drapée de fleurs de pommier et de lilas.

Les tourtereaux se réveillent
entourés d’étangs.
L’amoureux s’impatiente :
« Allez, nous devons partir! ».

Rien à faire, elle dialogue
avec une feuille à la peau diaphane.

Astucieux, il détourne l’attention de l’Égérie en lui offrant un miroir de fleurs.

Les voyageurs franchissent les barrières du domaine, traversent une salle aux lanternes, grimpent l’escalier jusqu’au sommet du mât. Pris de vertige, ils atterrissent dans une minuscule cambuse. Rien à faire, ballottés sur les notes d’Hallelujah de Leonard Cohen, ils amerrissent sur le fleuve où un voilier les prend sous son aile.

Échoués sur un territoire non cédé, ils le visitent l’esprit ouvert, curieux d’en apprendre davantage sur ses habitants.

Excités, ils découvrent parc, pont et passage piétonnier, dôme de cristal dans la ville souterraine, gîte – du plus chic au plus inusité.




Ils dormiront à l’Hôtel des insectes, avec stridulations symphoniques comprises dans le forfait.

Pour honorer sa Reine, l’amoureux dépose à ses pieds un arbre de fleurs avec le vif espoir de le transplanter dans leur jardin. Mais… comment le glisser dans les bagages!

Sur le chemin du retour,
ils bifurquent par le Jardin de la paix
où se grave le récit de leur escapade.

Surpris par l’hiver hâtif attelé au renne,

l’amoureux, plein d’ardeur, accroche une fleur gelée

dans la chevelure de l’Ondine frigorifiée!

© Véronique Morel 2021, texte et photos

Le Québec – 50 sites incontournables, Henri Dorion, Yves Laframboise, Pierre Lahoud, Les éditions de l’Homme 2007

Mariette et Christiane

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

COUVRE-FEU – 28 JOURS
Mariette et Christiane

De tout temps, la majorité des Mariette et Christiane de ce monde ont aimé fréquenter l’école, apprendre à lire et à écrire, à calculer, à bricoler, à réfléchir, à nourrir une passion et tout mettre en œuvre pour réaliser leur rêve.

Au printemps de l’an 2020, les autorités ont retiré les enfants de l’école pour leur protection et celle des adultes qu’ils auraient pu contaminer. Quel souvenir ce chambardement tatouera-t-il en eux? Que retiendront-ils de positif face au chaos mondial engendré par un virus? Quels adultes deviendront-ils? Enclins à se soucier de l’autre ou obstinés à ne faire que ce qui leur plaît?

Nous débutons l’année 2021, toujours à débroussailler les chemins de traverse empruntés par le coronavirus qui gère pas mal nos vies.

Après trois semaines à la maison pour le congé scolaire du temps des fêtes, les écoliers retrouvent leurs camarades et les enseignantes. De nouvelles consignes s’appliquent.

Les Mariette*Christiane d’aujourd’hui se jettent dans les bras l’une de l’autre sur le pas de la cour de récréation.

– Hé les filles! Deux mètres!

Les Mariette*Christiane expérimentent les nouvelles directives : porter le couvre-visage en tout temps, sauf durant les récréations à l’extérieur. D’ici la fin juin, elles auront terminé leur parcours primaire, seront devenues de grandes demoiselles qui franchiront la porte du secondaire. Elle ne veulent pas trop imaginer le défi de suivre les cours en alternance, une journée sur deux à l’école, l’autre derrière l’ordinateur à la maison. « Nous avons bien le temps d’y faire face, philosophent-elles. Profitons de notre dernière année d’insouciance et continuons de nous étreindre. En cachette de la surveillante bien sûr! » Elles éclatent de rire sur la même tonalité que la cloche les enjoint de rentrer en classe.

À leurs enfants attablés pour le repas, les Mariette*Christiane des années 1980 racontent les raisons qui obligeaient les directions à fermer l’école, pour une journée ou deux. La température jouait le matamore et régentait les déplacements des autobus scolaires. Les élèves habitant à plus d’un kilomètre de l’école devaient se priver de marcher pour s’y rendre et dépendaient donc maintenant du transport scolaire; le « péril jaune » comme on le nomme avec affection fait loi. Trop risqué de faire rouler les véhicules sur les routes verglacées! Qu’à cela ne tienne, les enfants restent à la maison. Les médias de tout acabit alertaient la population sur les conditions météo à venir et la préparaient de la sorte à mieux affronter les éléments tempétueux aux petites heures le lendemain. Ainsi, dès l’aube, les parents syntonisaient leur poste de radio préféré pour se faire confirmer la fermeture de l’école. Les loupiots resteraient à la « maison » pour la journée… ou devrais-je écrire « dehors ». Les enfants en profitaient pour engloutir une grande bolée d’air froid, se lancer dans la neige, peut-être chausser les patins ou dévaler les pentes s’il s’en trouvait une pas trop loin. Cette journée de congé forcé était la bienvenue, sans créer un drame shakespearien dans la chaumière. La majorité des Mariette*Christiane n’avaient pas encore gagné le marché du travail rémunéré. En « bonnes mamans », elles assuraient la sérénité et la sécurité de leur progéniture en veillant à leur bien-être physique et psychologique.

Les Mariette*Christiane des années 1960 marchaient pour se rendre à l’école. Dans les localités plus populeuses, la neige des trottoirs était tassée pour faciliter les déplacements des piétons. À la campagne toutefois, les Mariette*Christiane devaient elles-mêmes ouvrir le chemin en écrasant la neige fraîchement tombée. Se formaient alors des sentiers piétinés empruntés par une ribambelle d’écoliers en route vers l’école. Beau temps mauvais temps, les enfants bravaient le froid, le vent et parfois même la tempête pour aller quérir les effluves du savoir. Certains gamins franchissaient les murs de l’école en retard, s’étant attardés à façonner des balles de neige qu’ils se lançaient dans un combat épique, alignés derrière les bancs de neige transformés en remparts contre les rafales malicieuses. Ils arrivaient à l’école grelottant, les mitaines de laine boursouflées comme un visage acnéique, la tuque de guingois, le foulard trempé de neige fondue et d’autant de salive et sécrétions nasales. Les orteils n’étaient pas en reste, gelés dans des souliers mal protégés par des bottes de caoutchouc non doublé. Ah! Les hivers des années 1960 étaient froids, généreux en neige, favorables aux galipettes des enfants. Les Mariette*Christiane de cette époque composaient avec l’hiver, s’en faisaient un ami plutôt que de le haïr et chercher à le fuir à tout prix.

En 1943, l’école devenue obligatoire, les Mariette*Christiane fréquentent l’école de rang. Elles s’y rendent à pied, marchent parfois plusieurs milles avant de pouvoir s’asseoir côte à côte sur le grand banc attaché au pupitre dans un espace mal ou trop chauffé, selon que le feu s’est éteint ou qu’une bûche odorante se consume dans le poêle trônant au milieu de la classe. L’institutrice regroupe les enfants selon les âges – les plus jeunes, les plus grands – et leur enseigne à tour de rôle les rudiments des additions et le b-a ba de la calligraphie ou de la dictée pour les plus vieux. Les Mariette*Christiane rêveront d’avoir, à leur tour, un auditoire d’enfants désireux d’apprendre les merveilles de la nature, de se laisser raconter l’histoire des peuples et la géographie des pays, de faire honneur à leur enseignante devant monsieur l’inspecteur.

Au début du XXe siècle, les Mariette*Christiane n’ont pas droit aux études supérieures. Les devancières Marie Gérin-Lajoie, Marie Sirois, Irma Levasseur entre autres défrichent non sans peine le chemin de la connaissance pour toutes les femmes canadiennes-françaises de l’époque. Les Mariette*Christiane du XXIe siècle devraient se faire un devoir de connaître la vie de ces féministes déterminées et reconnaître leur parcours exemplaire emprunté pour qu’en 2021, les jeunes filles puissent aspirer aux plus hautes sphères de la société grâce à des diplômes obtenus d’universités illustres.

Souhaitons aux Mariette*Christiane d’aujourd’hui de garder espoir en l’avenir. À elles de déverrouiller la porte aux prochaines générations, de devenir les bâtisseuses d’un monde respectueux de l’environnement, holistique, empreint d’humanisme et d’altruisme.

© Véronique Morel 2021, texte et photo

Note : trouvée sur Internet, la photo de la classe se rattache à valdunord.blogspot.com et au texte de monsieur Éric Doyon L’école de rang dont le lien s’ouvre dans mon histoire.

Mariette et Christiane, Madeleine Beaudoin et Marie-France Ory, éd. à compte d’autrices, 2020

Vienne 1880-1938

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Lettres de mon sapin

Pour se donner espoir, la crèche et le sapin resteront allumés jusqu’à la fin du confinement.

Mon sapin se déploie en une pyramide de livres, enjolivée d’un collier de lumières multicolores et d’une ribambelle de fleurs de poinsettia en feutrine rouge. Au sommet trône une couronne illuminée déposée dans une faïence provençale.

Ce 9 janvier 2021 à 20 heures débute le couvre-feu. La fantaisie Lettres de mon sapin fourmille dans ma tête pour m’aider à traverser cette période de 28 jours.

Couvre-feu 28 jours – Vienne 1880-1938

Sur cette brique repose l’équilibre de la pyramide : livre costaud, œuvre remarquable, Vienne 1880-1938 sert de socle au sapin. L’honneur lui revient d’ouvrir le bal.

Les jeunes dansent, valsent sur la musique de Strauss. Froufroutent les crinolines, tourbillonnent les tourtereaux autour des demoiselles, la fête bat son plein. Insouciante, bravant les autorités, la tempête, les menaces, la jeunesse s’amuse, le cœur gonflé d’amour. Recluse dans sa chaumière, la vieillesse, elle, redoute les frasques, les étourderies, la nonchalance.

– Un étranger s’infiltre dans le hall, crie-t-on. Son allure menaçante fait craindre le pire. Et s’il nous attaquait? Rentrons vite à la maison.

De nombreux couples quittent la salle dans un chahut innommable, effrayés, gagnés par la panique.

Quelques irréductibles s’avancent vers le hall, au coude à coude derrière la barricade de leurs exhalations. Le plus entreprenant du groupe lève le bras.

– Mais! je ne vois personne, lance-t-il avec dérision. D’où vient cette idée d’agression? Que la fête continue, éructe-t-il.

Les musiciens restés en poste laissent gémir les cordes des violons, les cymbales tonitruent des sarcasmes aux mauviettes qui se sont éclipsées par la porte arrière.

Pourtant, la ville tremble d’effroi. L’intrus s’immisce, embrigade les esprits, endoctrine le peuple. Sans cœur ni loi, le visiteur sournois, venu d’ailleurs, pulvérise les frontières, enflamme les propos, régente le quotidien de la population transie, alertée sans toutefois saisir l’ampleur du drame à survenir.

Car drame il y aura : des morts, des coupables innocents, des délations durant une nuit horrible – la Nuit de cristal! Les lamentations des violons contaminent les quartiers désœuvrés, ensanglantent le décor duquel pleut un fracas de vitres cassées.

Les violons expirent, les cymbales agonisent, les demoiselles pleurent les prétendants déportés, la guerre frappe.

Accompagnée par Histoires sans paroles d’Harmonium symphonique, j’apprivoise le couvre-feu, je vibre au diapason d’une population spoliée, bafouée, meurtrie dans son corps et dans son âme, brûlée vive sur le bûcher de l’intolérance meurtrière.

Puisse ce couvre-feu allumer la conscience d’un vivre-ensemble compatissant, à l’écoute de l’Autre. Recréer un plancher sur lequel valser au rythme de la connivence et de l’altruisme.

© Véronique Morel 2021, texte et photos

L’Intouchable

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Un conte de Fleurabie

Sous la garde du majordome depuis l’exil des maîtres sur leur yacht privé voguant dans les eaux chaudes de la Mer des Sarcasmes, la bête neurasthénique aboyait à fendre l’âme, déchirait la vitre de la porte-patio de ses griffes fraîchement limées. De fait, le lévrier afghan était passé chez sa toiletteuse la veille. Elle lui avait fait un shampoing et peigné son pelage gris-bleu un long moment tant pour le bien-être de l’animal que pour les frissons qu’elle en éprouvait.

Par un jour drapé d’une nuit minérale, l’Intouchable, arrivé de nulle part, apparut dans le jardin luxuriant d’une demeure cossue à l’ombre des tours du centre-ville.

Le survenant ne payait pas de mine : visage sans bras ni pieds, tignasse ferreuse, yeux menaçants, sourire édenté. En fait, telle était la description donnée par le majordome aux autorités suspicieuses.

Depuis plusieurs mois, les communications se chargeaient de verglas. La population entière sentait les sueurs froides lui brûler le dos. L’État semonçait ses habitants d’éviter de regarder l’Intouchable dans les yeux, au risque d’en mourir.

Au coucher du jour, avant même le lever de la nuit, le majordome installé à la fenêtre épiait l’Intouchable.

La masse informe, ni ronde ni plate, s’incrustait derrière la clôture du jardin au fil des mois s’égrenant d’une lenteur démentielle. Quand l’Intouchable fermerait-il les yeux? Sur quelle tonalité émanerait un son de sa bouche? Le majordome redoutait ce moment tout en mijotant le plan d’aller à sa rencontre, le toucher pour comprendre sa texture, tenter de le faire parler.

Depuis l’atterrissage de l’Intouchable dans le jardin au pied des gratte-ciel, la nuit s’entêtait à ronger la clarté du jour aussi bêtement que le lévrier afghan stressé se grattait le pelage au sang. Il faisait noir comme chez le loup, la population restait confinée, sauf quelques badauds intrépides voulant lorgner les intérieurs des châteaux urbains par les fenêtres éclairées… et qui sait, narguer l’Intouchable!

Ce serait cette nuit. Le majordome, vêtu d’un scaphandre, sortit de la demeure après avoir administré un soporifère au lévrier afghan. Il valait mieux éviter d’affoler l’animal avec pareil déguisement. Les bottes lunaires freinaient l’homme dans sa marche sur la pointe des pieds. Ses pas chancelants alertèrent l’Intouchable. Des yeux délétères bombardèrent la poitrine du majordome d’éclairs rouges sans que celui-ci ne bronche d’un poil. L’Intouchable se déplaça en se contorsionnant, même s’il semblait avoir pris racine. L’attaque aux dards rouges terminée, le majordome risqua une conversation.

– Doux, doux!


La gorge foudroyée par un volcan d’acidité, il poursuivit.

– Hum! Madame? Monsieur? Vous, je ne vous veux aucun mal. Avez-vous faim? Ou soif? D’où venez-vous?

Les poumons en feu, le majordome s’obstinait à traquer l’intrus.

– Hum! Hum! se raclait-il le gosier. Excusez-moi d’avoir mis tant de temps à vous approcher. Vous savez, les autorités m’interdisent, à moi et aux concitoyens, de vous regarder au risque de trouver la mort.

Impavide, l’Intouchable défiait le majordome. Aucune émotion n’éclairait le visage de l’intrus. Le majordome s’approcha de plus en plus de l’Intouchable, allongea le bras…

– Arrêtez! Je vous en supplie, redonnez-moi mon bras! implora le majordome dans une quinte de toux. Je ne vous veux aucun mal. J’espère tout simplement comprendre qui vous êtes, ce que vous nous voulez, comment nous pouvons vous aider à retourner chez vous.

L’Intouchable recracha le bras en se blottissant sur la clôture dentelée.

Tout à coup, une bruine scintillante enveloppa le jardin d’un halo. Affolé, le serviteur voulut se soustraire à cette blancheur le plaçant sur la sellette d’un monde déchu.

Ralenti par son accoutrement, il rampa de peine et de misère jusqu’à la demeure cossue en traînant sa carcasse de limace, asphyxié par des sueurs sulfureuses. La porte-patio fermée derrière lui, il étira son regard fiévreux vers son mercenaire.

L’Intouchable se tenait bien campé
sur un rai de bruine.
Il aspira le majordome dans son vortex.
Le nuage blanc s’éclipsa tel un véhicule céleste s’estompe dans une nuit sans lune.

Au matin, encore somnolent, le lévrier afghan pleura, allongé près d’un scaphandre traversé d’innombrables dards rouges. Vide.

Heureux temps des fêtes
à toi qui aimes me lire.
Santé!
Ensemble, comblons de notre mieux
les besoins des autres!
Ensemble,
vibrons à la Beauté qui nous habite,
celle de notre âme!

Paix et Joie
Heureux Noël
Bonne Année 2021!

© Véronique Morel 2020, texte, photos
Note : les photos de L’Intouchable et de la demeure cossue représentent des emballages cadeaux fabriqués de mes mains en 2019.

Laisser parler la nature

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DÉFI 28 JOURS – Covid-19 – 27 octobre-10 novembre 2020

Je pourrais philosopher sur le temps qui passe, décrire la similitude entre les feuilles qui tombent et mes mots qui s’envolent, provisionner les couleurs qui m’inspirent par leurs clameurs.

Cette fois-ci, je laisse les photos s’exprimer par elles-mêmes. Écoute-les, respire-les, laisse-toi réconforter par l’amadouement de leurs messages.

Les photos du 20 et du 30 octobre te montrent la progression féroce de l’automne.

Les nuages enjolivent le firmament, les jours raccourcissent, …

… les couchers de soleil créent des ciels bleus et roses à couper le souffle!

Ma courte vidéo du 27 octobre capture la tendresse entre la lumière matinale et la feuillaison du souverain vêtu de dorures aveuglantes. Je l’ignore encore : trois jours plus tard, le roi déchu et ses vassaux enguenillés quêteront quelques rayons pour se réchauffer. Je reste émue par la beauté qui s’en dégage.

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéo

Échanges

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Défi 28 jours – Covid-19
17-26 octobre 2020

Toutes ces journées à procrastiner, journées de pluie déprimante ou de soleil faible dans l’automne qui se retire une feuille à la fois, inexorablement, effrayé par le vent qui décapite, celui-là même qui m’attendrit par ses volutes froufroutantes.

Oscillation entre la reconnaissance douloureuse d’avoir négligé mon défi 28 jours et la joie incommensurable de m’être rempli les yeux de beauté, puis d’observer, impuissante, la nature se dévêtir de sa feuillaison flamboyante et amorcer en déclinaisons de jaune or et d’ocre marbré la chute à ses pieds de sa robe déchirée.

Laisse-moi te raconter!

* & *

Interdiction de toucher

Trois courts chagrins

Perché sur la pointe des pieds, le bambin s’étire, s’étire… Jérémie allonge la main à la hauteur de ses yeux qui dévorent le bol posé sur la table, bedonnant de bonbons.

Une voix autoritaire freine l’excitation de l’enfant, lui rappelle l’interdiction de toucher aux jujubes affriolants et l’envoie réfléchir dans sa chambre.

– Cesse tes jérémiades! Halloween viendra… peut-être!

Se charmer en temps de pandémie?

Leurs doigts cherchent la faille où se croiser, le désir rabroué par des griffes accusatrices.

Les mots d’amour s’échappent de leurs cœurs, parcourent le sentier des émotions, montent à la gorge nouée de pudeur, traversent les barreaux de porcelaine d’une dentition aveuglante… frappent le mur de l’Interdit : un masque mouillé d’exhalations étouffées.

La fillette caresse la joue de l’aïeule à travers la vitrine sale de la mort.

Elle contrôle mal sa colère, tabasse la vitre de cris, invective l’Univers de la priver des yeux vaporeux de sa grand-mère, de son sourire dessiné en croche sur une gamme de noires et de blanches, du redoux des mots inaudibles échappés comme des tourterelles aphones, des doigts ravineux enchevêtrés dans l’humus sombre de la mémoire.

– Mémé, qui a laissé ce virus me priver de ta présence? Qui? Pourquoi m’empêche-t-on de toucher une dernière fois ta peau parsemée d’étoiles fanées?

* & *

Réflexions de cheveux

Un cheveu blanc se faufile dans ta crinière noire au détour de ta jeune quarantaine. Tu ne fais ni un ni deux, déracines l’intrus d’un coup sec, sans colère, ni compassion; visage de marbre s’il en est. La blancheur prend du terrain, s’incruste de plus belle, donne une teinte poivre et sel à tes mèches ondulées. Après avoir camouflées les rebelles sous des teintes artificielles, tu laisses l’éblouissement de ta chevelure assagie adoucir ton visage et l’entièreté de ta présence à l’Autre.

* & *

Octobre tire à sa fin. Novembre avance entre chien et loup, enfonce le clou du confinement et de la privation sociale. Mon amie, accroche-toi à la chape de survie tricotée pour te tenir au chaud, retrouve-moi à l’autre bout de ce lien ressourçant aux couleurs euphorisantes jaillies de nos sororités. La voix de Renée Claude me réconforte. Je t’offre sa chanson.

Je t’aime.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Car la mariée…

Vedette

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Défi 28 jours – Covid-19
15-16 octobre 2020

Habillées de robes rouges flamboyantes, les filles d’honneur s’impatientent au pied du clocher. L’inquiétude écrase leurs épaules d’une chape d’incompréhension.

Car la mariée pleure.

Quel incroyable déversement par une journée aussi exceptionnelle! chuchotent-elles.

Elles imaginent la voie où l’entraîner pour la détourner de son désarroi.

Laisseront-elles tomber leurs frondaisons luxuriantes, enhardissant Éole à les dévêtir pour inspirer la promise? Se noieront-elles plutôt dans ses larmes, désenchantées?

Car la mariée pleure.

Le jour passe.
Les filles d’honneur rient,
papotent,
lancent des œillades coquines.

La nuit de noce effleure le miroir.
La nuit de noce effleure le miroir.

L’épousée brasille sur la couche nuptiale,
encense le décor d’une aura fulgurante.

Car la mariée exulte!

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéos

Se laisser parler d’amour

Vedette

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Défi 28 jours – Covid-19
12-13-14 octobre 2020

La naissance d’une journée
prend la teinte

du regard avec lequel je la peins.



Dans l’exubérance des couleurs se greffe un chiffre à mon âge. À chaque nouvel Octobre, je dépose un fragment de lumière dans la corne d’abondance de ma vie. Aujourd’hui, ma collection s’enrichit d’une soixante-douzième étincelle.




Soixante-douze cristaux de bienveillance dans les yeux; de ritournelles pour te bercer de baisers sur les joues et dans le cœur; de mains ouvertes – gerbes débordantes de pain béni, d’eau de source et de menthe fraîche; de lainage pour te couvrir et de fleurs à mettre dans tes cheveux; de dessins d’enfant et d’harmonie des voix; de sentiers escarpés et de plages blondes; d’immenses besoins de recueillement, et des danses carrées pour divertir les personnes désœuvrées.

Lever les yeux avec des rêves plein la tête.
Baisser le regard vers l’antre des souvenirs.

Vie merveilleuse, je t’habite depuis 72 ans.




© Véronique Morel 2020, texte et photos

Nature

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Défi 28 jours – Covid-19
9-10-11 octobre 2020

Il me fallait quelques jours de ressourcement, d’où mon absence près de toi. Mon éloignement temporaire dans les feuilles d’automne m’a requinquée.

Les mots déposés ici reflètent mes états d’âme, propulsent mon imagination vers des fantaisies débridées. Je te remercie de bien accueillir mes élucubrations. Tes commentaires chaleureux me réjouissent et me stimulent à poursuivre mon défi.

Je te l’apprends peut-être : je réside en pleine métropole à la croisée de deux artères achalandées et pourtant, de mon 7e ciel, j’admire la nature au quotidien, étonnante et bienveillante. Quel privilège de pouvoir profiter du meilleur des deux mondes : les commodités de la ville et l’impétuosité d’une végétation qui m’en met plein la vue!

Pour le défi 9-10-11 jours, je fais silence de mots pour laisser place à des photos et des vidéos prises ces derniers jours en plein soleil ou comme spectatrice de la pluie torrentielle fouettée d’éclairs.

Aujourd’hui j’ai une pensée recueillie pour papa décédé il y a 21 ans, le 11 octobre 2020, jour de l’Action de grâce. De là-haut, il endosse mon regard attendri posé sur les feuilles dentelées du ginkgo striant le bleu du ciel, ou s’épanche avec moi pour entendre le clapotis en provenance de la fontaine.

Faut-il s’éloigner de la peur pour mieux rebondir?

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéos

Bijoux

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Défi 28 jours – Covid-19
8 octobre 2020

Elle se ronge les ongles, inquiète. Où ira-t-elle une fois évincée de son logis? Qui l’hébergera?

L’heure est grave. Elle n’a pas les capacités financières pour se loger à coût plus élevé. Il lui faudra vendre ses bijoux, la seule richesse tangible qui lui reste. Le prix qu’elle en retirera suffira-t-il seulement à payer son prochain mois?

Elle pose le coffret sur ses genoux et l’ouvre. Un voile embrouille sa vue. La sentence du spécialiste lui revient en mémoire :

la progression de votre
dégénérescence maculaire s’accentue.

Ses doigts déformés caressent une gerbe de dahlias montés en épinglette. Roses, violets, orangers? Elle plisse les yeux pour déceler la couleur du bijou et surtout… surtout se creuse les méninges pour retracer d’où il vient, qui le lui a offert. Rien à faire, aucun souvenir ne surgit.

Elle tâte le fond du coffre pour en extraire le dernier bijou. Le fil défraîchi du collier se casse en le soulevant. Les pierres roulent sur le plancher, jusque sous le lit. De peine et de misère, elle s’agenouille pour les récupérer, mêlées à de nombreux moutons de poussière. Elle profite de sa posture pour faire le signe de la croix. Il y a si longtemps qu’elle n’a pas prié.

« Ti-Jésus, tu peux-tu m’aider à voir clair dans ce qui m’arrive? La Ville m’ordonne de quitter la place à cause qui y’a trop de vermine partout dans l’appartement, même chez les voisins. Pis la Ville a nous dit pas où qu’on va aller. J’suis un tipeu découragée. »

conclut-elle en se relevant.

De ses doigts crochus, elle palpe chacune des billes du collier.
Ses yeux abîmés perçoivent quelques sequins bleutés attachés
les uns aux autres.
Plusieurs strass l’éblouissent.
Épuisée, elle oublie de ramasser sept-huit pierres gemmes irrégulières.

À la bijouterie, le commis se mord les joues pour conserver son sérieux.

« Regardez madame, je ne peux pas acheter cette broche-là; elle n’a même plus d’épingle pour la fermer. Puis le collier… ce sont des pierres de pacotille! Il ne vaut rien, si tant est qu’il a valu quelque chose. Ah oui! Certainement une valeur sentimentale, sans plus. Désolé! »

« Maman » crie-t-elle, effondrée.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Gémissements

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Défi 28 jours – Covid-19
7 octobre 2020

Certains jours détonnent. Je fausse autant qu’eux. Sentir les harmoniques de mes os grincer comme un vieux piano désaccordé grafigne le tympan de mon âme. Mon corps s’enfonce dans la grotte inhospitalière de son vieillissement. Mon squelette s’agite au vent, tocsin sonnant l’alarme.

Une chape pandémique embrume mon existence. L’automne s’installe, inexorablement; le soleil frissonne, toussote parfois, le regard humecté de pensées pernicieuses. Puis se ressaisit : « Je ne peux tout de même pas abandonner la race humaine! »

À quand la diminution de la pollution sonore pour laisser place à l’harmonisation de nos pas sur le chant des oiseaux? Quand croirons-nous au bleu du ciel derrière sa déferlante de gémissements? J’aspire à une bouffée d’air large comme un tsunami pour déchirer le voile obstruant notre conscience. Je m’accroche à l’espérance de renouveau à l’échelle de la planète.

Le spectacle de la fin du jour m’enveloppe
de sérénité, me réconforte.

Je me retire dans mes appartements
pour digérer ma journée.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Souvenir impérissable

Vedette

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Défi 28 jours – Covid-19
6 octobre 2020

Laisse-moi te raconter un souvenir d’écolière.

Hummmmmmm… non. Attends!

Regardons tout d’abord la réalité des enfants d’aujourd’hui.

Les écolières de 2020 révéleront sans doute dans cinquante ans des traumatismes épouvantables et persistants à leurs petits-enfants : l’interdiction d’embrasser grand-maman; les balançoires cadenassées; ne plus fabriquer de forteresses en Lego avec les amies… Émues, les yeux brillants, elles relateront l’expérience hors du commun vécue dans le parc attenant à la cour de récréation. Du moins, je le souhaite de tout cœur.

Accolée au parc devant mon 7e ciel, la cour de récréation de l’école primaire du quartier s’anime des cris de joie ou des galipettes des enfants durant les récréations. Une école, c’est vivant.



Pour sa part, le professeur d’activités physiques amène ses élèves dans le parc pour leur enseigner à lancer le freezbee, à frapper une balle de baseball… « cours, cours » pendant que les camarades au champ tentent de l’attraper. Parfois, ils frappent sur un ballon et comptent un but. Imagine la montée de décibels! Toute cette effervescence me ramène au souvenir dont je veux te parler.

Je suis en 3e année à l’école primaire de Saint-Boniface en Mauricie. Nous sommes sans doute en septembre, les arbres portent encore leur chevelure abondante vert bouteille.

Ma « maîtresse d’école » comme on les appelait à l’époque, Sr Marie Saint-Louis-de-France, F.d.J. (J’ouvre une parenthèse : je peux te la présenter car son nom figure sur mon bulletin scolaire, sinon je n’aurais pas su. Je ferme la parenthèse.)… donc, cette femme élancée dans son costume noir, sourire maternel un tantinet timide, joues couperosées et lunettes à la John Lennon (autre parenthèse : je m’en rappelle exactement comme je te la décris), amène sa classe dans le boisé au fond de la cour et invite les fillettes à s’asseoir sous les arbres. Elle commence l’enseignement de la matière : était-ce le catéchisme, nous faisait-elle la lecture d’une histoire?

Mon cerveau a expulsé ces détails anodins pour s’attarder uniquement au plaisir indélébile gravé en moi : suivre un cours à l’extérieur assise sous un arbre plutôt qu’au pupitre, me laisser cajoler par la musique du vent dans les feuilles, vibrer encore et toujours à l’émerveillement ressenti par cette courte demi-heure inoubliable.

En 2005, l’animatrice d’un atelier de créativité propose
aux participantes d’illustrer,
par le médium de leur choix, un souvenir.
Celui d’être assise à l’ombre d’un feuillu
me revient sans hésitation.
Je peins une flambée de feuilles s’émoustillant,
et je rajoute une percée de soleil qui s’invite dans leur jeu.

À mes tout-petits Hubert, Bastien, Jeanne, Christophe, Henri, Amandine, Rémi et Marion baignés dans les contraintes qu’impose la pandémie, je leur souhaite des « maîtresses d’école » imaginatives, en mesure de les propulser hors des sentiers battus pour incruster en elles et eux un souvenir impérissable.

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéo

Quatre-cinq ans

Vedette

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DÉFI 28 JOURS – Covid-19
5 octobre 2020

Que faisait-elle là?

Que faisait-elle là, seule dans le parc?


Que faisait-elle là, cette enfant de quatre-cinq ans, aussi joufflue qu’un soleil fleuri?

Je m’inquiétais : ça ne se peut pas, une enfant de quatre-cinq ans seule dans un parc à caresser un arbre de ses menottes translucides.

Une toute petite fille de quatre-cinq ans, seule. Et un gros arbre décharné, arthritique, vieillard perclus de rhumatisme à qui elle prodigue tant d’affection. Envolés du cœur de la fillette, des mots silencieux se déposent dans le duramen de l’arbre.

Dois-je aborder l’enfant, la rassurer et m’informer où se trouve sa maman? Son papa? Dois-je lui offrir de la reconduire chez elle?

Envoûtée par sa présence dans le parc près du gros arbre gris chevrotant, j’hésite, paralysée.

J’observe l’enfant. Vaporeuse, délicate, espiègle dans sa juge à carreaux. Le col en dentelle de son chemisier la transfigure en infante magnanime. Qui est-elle, cette petite de quatre-cinq ans qui capte mon attention? La souplesse caressante de sa main sur la peau rugueuse de l’arbre fatigué me subjugue.

Elle fredonne une cantilène pour bercer le vieil arbre :

la fulgurance de tes découvertes navigue
dans tes veines gonflées,
tes succès miroitent sur les rainures de tes os.
J’entends ton souffle palpiter au creux de ma paume
sur ton flanc.
Je t’insuffle ma vivacité, une transfusion d’émerveillement pour braver le noroît redoutable,
tempérer les griffes orageuses.

Je m’imprègne du parfum de cette petite de quatre-cinq ans,
je bois ses yeux estompés sous le retrait du jour,
philtre régénérateur pour calmer mon angoisse.

Je me secoue, me semonce : réveille-toi ma vieille. Demande à cette enfant d’où elle vient, où elle va, que fait-elle seule dans ce parc. Tente de retrouver ses parents pour les rassurer : j’ai vu votre enfant recueillir les confidences d’un vieil arbre dans le parc.

Malgré moi, l’apparition me cloue sur place. Une aura verte l’enveloppe. Est-ce donc un fantôme? Une ange descendue dans le parc au moment où je prenais ma marche matinale? Une extraterrestre aux mains d’or?

Agenouillée au pied de l’arbre, elle se met à pleurer.

Je ne peux pas laisser l’enfant dans cet état sans intervenir. Il me faut la consoler.

Je me penche doucement pour éviter de l’effrayer. Mon souffle était-il trop bruyant pour la faire se volatiliser? Je fonds en larmes, comme une enfant.



– Tu pleures avec moi? chuchote-t-elle. Ne sais-tu pas que je suis toi, chaussée de tes souliers de persévérance, vêtue du magnifique collet de dentelle crocheté par ta grand-mère? Regarde-moi. Ne te vois-tu pas? Ne perçois-tu pas qu’avec mes doigts translucides, je caresse ta peau vieillie, j’honore tes veines gonflées de fatigue, j’apaise tes anxiétés? Je suis toi dans ton inquiétude ou ta bienveillance. Je suis toi penchée vers moi pour me consoler. Je me love dans ton âme, me repais de tes pensées, tes doléances, tes deuils et tes espérances. Je suis toi. Tu es moi.

Comment ne me suis-je pas reconnue? Je sanglote.

Lentement, la petite fille de quatre-cinq ans seule dans le parc à caresser un vieil arbre surgissait d’un placard verrouillé duquel j’avais perdu la clé. Elle a su de l’intérieur raviver ma sensibilité, m’amener à renouer avec un monde fabuleux résonnant de rires et de chansons, aussi bienveillant que celui de mon enfance ensevelie dans le trépas de mes errances.

La petite fille de quatre-cinq ans me caresse de ses doigts translucides et m’injecte la renaissance de la petite fille de quatre-cinq ans qui m’habite.

Alléluia!

© Véronique Morel 2020, texte et photo

© Crédit photo : Ginette Villemure, reproduction autorisée (parc Connaught)

© Crédit photo : Dominique Garneau, reproduction autorisée (tournesol)

Offrande

Vedette

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Défi 28 jours – Covid 19
4 octobre 2020

Je t’offre mes mots, baume de tendresse à appliquer au besoin pour apaiser tes doutes, tes chagrins, tes peurs. Pour nourrir la confiance.



À toi mon amie
percluse d’arthrose
inquiétée par une douleur au sein
incommodée par les bouffées de chaleur
craintive de faire une chute
déboussolée par les privations sociales
J’offre un bouquet de feuillus multicolores pour calmer ton vague à l’âme.




À toi mon amie
dont les journées s’étirent, interminables
dont les corvées s’accumulent, toujours à reprendre
dont la charge mentale écrase tes épaules
dont les conditions de travail se complexifient
Je cajole ton enfant intérieur.


À toi mon amie
qui ravales tes pleurs
qui étreins la souffrance des sœurs autochtones
qui cries à l’injustice, en silence, recueillie
porteuse d’une lueur d’espoir
J’ouvre mon cœur auréolé de plumes.

À toi mon amie
qui stimules mes réflexions
qui alimentes nos échanges virtuels
qui enjolives notre amitié
qui enrichis la méditation de tes paroles lumineuses
Rejoins-moi devant ce havre de paix.


À toi
époux au regard bienveillant
cousin en quête de sens
frère si loin et si près
fils d’un monde meilleur
Soutiens-nous dans nos terres en jachères.



À toi
Accepte ce ciel bleu serti de nuages indolents
pour dessiner un sourire sur ton front soucieux.

Parce que je t’aime!

© Véronique Morel 2020, texte et photos

Cerfs-volants

Vedette

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JOURNAL DU 7e CIEL – 20 mai – 1er juin 2020… (J50-62)


L’arbre à méditations patiente.

Mes doigts ne savent plus calligraphier les lettres, les enrober des couleurs de l’arc-en-ciel, leur donner l’apparence de « ça va bien aller ». Il fallait un repli pour mes textes attachés en farandole. Ils devaient se tapir dans l’antre de l’écoute, dénouer la corde qui les étranglait.

20 mai, jour mémorable d’il y a quarante ans!

Un festival de cerfs-volants se joue devant mes yeux. Je grimpe à l’arbre pour juger leur déploiement, l’originalité de leurs arabesques, la durée de leur vol. Je me désole pour le petit mousse dont l’oiseau de papier s’écrase au sol, tel un projet de pays avorté. La soucoupe, virevoltante comme l’assiette chinoise du jongleur, me donne le tournis. Que dire du paon volant! D’une majesté silencieuse, il plane, porté par la brise minimaliste, brise de connivence, de confiance.

Déconfinement annoncé, ma fille m’invite à une rencontre dans son jardin le dimanche 23 mai. Les enfants pourront nous faire un câlin bedaine. En arrivant chez elle, ma tout-petite s’élance dans les bras de sa maman comme si elle ne l’avait pas vue depuis trois mois. Petit bout de femme et moi nous faisons des bonjours discrets, un sourire derrière mon masque. Elle évite de me toucher, cette enfant si câline en temps normal!

Alanguie, je me renfrogne dans mon fauteuil berçant, un livre à la main. Un motton dans la gorge. Cet état d’abêtissement me taraude, m’écrase au sol plus durement qu’un cerf-volant au souffle coupé. Déboussolée, je sonde ma léthargie.

Il m’aura fallu une semaine pour mettre le doigt sur le bobo, pour enfin pleurer ma peine. Mon vague à l’âme naît de cette expérience : en me voyant, ma tout-petite s’est tournée vers sa mère en criant de joie pour étouffer son trop-plein d’émotion de me retrouver en personne, privée depuis trop longtemps de mes bras aimants. Elle a bien intégré la règle d’éviter de donner des câlins. Je comprends enfin sa réaction de jouer près de moi sans me frôler.

Je suis une femme de touchers. J’accueille les membres de ma famille, mes amies, les gens que j’aime… en les étreignant. Combien de temps faudra-t-il avant de te prendre dans mes bras, heureuse de te saluer, de se raconter, toi et moi? Quand pourrai-je câliner ma tout-petite sans aucune crainte, dans le pur bonheur d’un instant de tendresse? Quand?

Je suis un cerf-volant avec ses hauts et ses bas devant l’arbre
qui devra bientôt passer chez le coiffeur!

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéos

Réfugiée

Vedette

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J’ai traversé des mers et des continents pour offrir ma destinée à des eaux limpides et des champs verdoyants sous un soleil frileux.

Je viens d’ailleurs. Là où les engins explosifs m’ont jeté du plomb dans l’aile. D’un lieu où nous nous entretuons, où les autorités maintiennent un règne de terreur, où quelques irréductibles habitent les ruines, où les bambins ne jouent plus et les amoureux s’évitent.

Esseulée sur les trottoirs de ma ville d’adoption, je crains les regards inquisiteurs, terrassée par les injures méprisantes comme autant d’obus incrustés dans mes chairs. J’ai peur. Parfois. Du crachat qui souillera mes vêtements. Je tremble malgré la canicule. Je cherche les couleurs de mon enfance et ne trouve que des murs rouge vif dont les multiples fenêtres sourient aux passants. Mes pas quémandent la morsure des grabats meurtriers, ne récoltant que des poussières soulevées par le flot urbain.

Je suis réfugiée dans un pays où le froid gèle les idées et atténue les drames; l’endroit où s’ouvrent des bras accueillants et des repas abondants. Mes papilles explorent des mets à peine épicés. Mes oreilles entendent des musiques feutrées, soyeuses comme peau de pêche. Elles réclament les berceuses râpeuses d’oummi, les youyous des femmes du village célébrant une naissance, un mariage… J’ai perdu mes repères sonores. Derrière la maison, le sifflement du train m’affole. Un réflexe viscéral hurle de m’enfuir, l’alarme d’un bombardement résonne à mes tempes. Troublée, exténuée, je rattrape ma respiration jetée du haut du balcon pour la calmer, lui redonner le tempo. Ici règne la paix.

Un rictus ridiculise ma réflexion. J’insiste : la liberté clame la paix en exultant de joie. Bien sûr, il y a tant de petits conflits désastreux : quête d’identité pour les natifs, propos patriotiques pour les orphelins politiques, dénouements cruels pour les victimes d’agression.

La guerre sur mon territoire natal estropie ses enfants, affame sa population, la condamne à l’itinérance, voire à la torture.

J’ai franchi des océans et des montagnes pour nicher dans un jardin qu’on appelle la Terre. Mes pleurs font croître l’arbuste sur lequel je me suis posée. Le soleil à son zénith réchauffe mal ma carcasse usée, anéantie par l’abandon des miens dans un désert de morts-vivants. Les reverrais-je? Mes larmes forment un miroir bleu dans lequel s’abreuve mon espoir de les retrouver.

Pourquoi les fleurs du jardinet m’éblouissent-elles autant?L'envol-LouiseDucas Leur silence m’indispose, crée le vertige, me donne la nausée. Tout cela est trop propre pour moi. Le froissement du souffle d’un insecte chavire mon cœur; il étourdit mes pensées que j’assomme de reproches délétères. Chérir la quiétude d’un fleuve nordique tandis que mes semblables croupissent dans un oued ensanglanté égratigne ma conscience. Ne devrais-je pas retourner vers les miens, livrer leur combat, mourir de la même haine?

Donnez-moi de l’oxygène!

© Véronique Morel
Photo de Louise Ducas, reproduction autorisée