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Véronique Morel

~ Nouvellière et dentellière de mots

Véronique Morel

Archives de Catégorie: De mes dentelles de mots

Ver… qui?

03 samedi Oct 2020

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#dentellesdemots; #courtepointedevitraux;, #montrealzonerouge

DÉFI 28 JOURS – COVID 19
3 octobre 2020



Rien de nouveau sous le soleil. Chaque année le même scénario se répète : le Ministère tergiverse avant de faire connaître aux directions scolaires les programmes pour l’enseignement du français. Le Petit Robert s’impatiente, fulmine; comme toujours, on le blâmera d’avoir tardé à fournir à temps le matériel didactique.

Le Petit Robert mandate Vermisseau de livrer une hotte remplie de mots à faire découvrir aux enfants.

Rêveur invétéré, le commissionnaire bombe le torse, honoré d’accomplir cette mission. Il programme son GPS et l’installe sur le tableau de bord de la flamboyante caravelle louée pour l’occasion. Vermisseau s’élance vers sa destination, manœuvre les commandes de main de maître en direction de l’école où il doit déposer le précieux trésor. Le cerf-volant lui obéit au doigt et à l’œil après avoir décollé les pales emplies d’air, atteint une vitesse de croisière, taquiné les nuages au passage. Le vent le pousse plus loin, plus haut.

Le bolide virevolte, culbute, sifflote, course avec les outardes, s’étouffe en perdant de l’altitude. Le vent, en manque de souffle, l’abandonne.

Tentant de redresser sa monture, Vermisseau rage, s’époumone, intimide Éole, perd les pédales lorsque l’attelage fonce à toute vitesse dans la cime d’un arbre. Incapable d’éviter la collision, il se déleste de la hotte. Au moins tout ne sera pas perdu, pense-t-il.

Étourdi, les tripes sciées par un vertige incontrôlable, Vermisseau gigote au bout de son fil comme le ver accroché à l’hameçon.

Des enfants en récréation se bousculent pour ramasser la manne tombée du ciel. Ils rassemblent les mots, éblouis.

Vermisseau vers le vert feuillage verse une larme
dans le verre sur pied de la verrerie entassée
dans la Verchères vert de gris de Vermicelle.

Les rêveurs devraient tous disparaître dans les nuages, plaide-ton dans les hautes sphères gouvernementales.

Le blâme retombe sur le Petit Robert. On lui reproche son amateurisme d’avoir laissé un rêveur tout bousiller.

Comme toujours!

© Véronique Morel 2020, texte, photos et vidéo

Pleuvasser

02 vendredi Oct 2020

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#courtepointedevitraux, #dentellesdemots; #courtepointedevitraux;, #montrealzonerouge

DÉFI 28 JOURS – Covid-19
2 octobre 2020


Les journées pluvieuses et froides m’invitent à rester sous l’édredon, à me recroqueviller pour réchauffer mes os frileux. Et pourtant! Je préfère saluer cette journée et l’accueillir telle qu’elle est : vêtue de tristesse, de lassitude. Entendre sa peine.

Trop souvent incomprise, la mal-aimée se confie.

– Je me croyais invincible, séductrice. Je voulais abreuver le ruisseau comme on donne le sein au nouveau-né, goutte à goutte. Il s’est rebiffé, m’a injuriée : faut-y être assez vicieuse pour se déverser dans mes flancs comme ça; dévergondée qu’il m’a crié. Je reste inconsolable. Toutes les larmes de mon corps, je te les crache au visage par rancœur, même si tu n’y es pour rien.

Laisse-moi te raconter ma connivence avec la pluie.

Il y a quelques jours, je marchais le visage au vent, allègre, heureuse, jusqu’à ce qu’une ondée me surprenne. Hummm! J’avoue avoir été déstabilisée dans ma quiétude, surtout que je ne portais ni imperméable ni bottes de pluie.

Il me fallait donc l’aborder avec diplomatie pour éviter une inondation.

– Bonjour la pluie! Je t’en prie, sois gentille. Attends que je sois rendue à destination avant de pleuvasser tout ton saoul. Tu sais combien je t’aime. Tes bienfaits nourriciers demeurent indiscutables. Tes caresses coulantes me pâment, m’enivrent. Allez, fais-moi plaisir. Laisse-moi arriver à bon port et alors, tu pourras pleurer comme une madeleine, je te l’autorise. Après, d’accord?

Elle s’est retirée derrière son nuage gris, me laissant poursuivre ma route au sec.

Depuis mon enfance, je parle à la pluie pour la calmer, l’implorer de patienter. La convaincre que ses larmes irradieront comme le cristal, s’arrondiront pour coiffer les feuilles et les fleurs d’une aura éblouissante. Docile, elle obtempère.




De nombreuses personnes la réclament pour la protection des récoltes, l’invoquent pour purifier la terre des esprits mauvais. En dansant.

Il se trouve toujours deux côtés à une médaille. Lequel préfères-tu?

© Véronique Morel 2020, texte, photo et vidéo

Zone rouge

01 jeudi Oct 2020

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#courtepointedevitraux, #covid-19, #dentellesdemots; #courtepointedevitraux;, #montrealzonerouge

DÉFI 28 JOURS – Covid-19
1 octobre 2020


Allô!

Comment vas-tu? Il y a longtemps que nous avons échangé nos regards à travers mes mots.

Pour ma part, je me porte très bien. J’ai profité de l’été à Balconville devant le parc où se regroupaient des familles pour pique-niquer, des ados qui jouaient au soccer, des gamins qui courraient… J’ai vu mes enfants et mes tout-petits à quelques reprises. J’ai rendu visite à ma mère de 98 ans une seule fois. L’expérience de devoir la rencontrer le masque au visage sans pouvoir la prendre dans mes bras m’a déplu. Elle et moi préférons la téléjasette.

Le Gouvernement du Québec et la Santé publique lancent à la population le Défi 28 jours pour endiguer la propagation de la Covid-19 qui se lance de plus belle sur une pente ascendante. Je le relève en documentant ce mois d’octobre en semi-confinement. À nouveau, de mon septième ciel, je partagerai avec toi des instants de grâce, des inquiétudes, des merveilles. Je caresse le rêve de me retrouver à la fin du projet avec un décor aussi coloré que celui du moment.

Montréal gémit dans la zone rouge.

Depuis minuit en ce 1er octobre 2020, des restrictions sanitaires perturbent à nouveau notre quotidien. Les bars, les restaurants, les cinémas, les théâtres, les musées, les spas… ferment leurs portes et encaissent de nouveaux revers financiers.

La Santé publique interdit les rassemblements dans les chaumières et les manifestants devront obligatoirement porter le couvre-visage. Les contrevenants se verront imposer une forte amende de 1000$.

À la Résidence, les visites sont à nouveau interdites, et les activités offertes dans la salle communautaire suspendues. Contrairement au printemps dernier où nous étions confinées dans nos appartements, la Santé publique nous autorise à sortir à l’extérieur pour prendre des marches, faire nos courses et fraterniser.

J’ai traversé les restrictions du printemps sans accablement; il en sera de même pour cet automne grâce à mon balcon-préau donnant sur un parc. Je me sens choyée par une nature luxuriante coiffée de nuages cotonneux. Je remercie la Divine Providence pour tant de beauté.

En fin d’après-midi, j’ai capté un arc-en-ciel : le freluquet ravale le fameux « Ça va bien aller! »


© Véronique Morel 2020, texte, photo et vidéo

Le vent rageur

10 mardi Mar 2020

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#courtepointedevitraux, #dentellesdemots, #gangdeblogueuses

– Vous devez écrire un conte qui aura pour titre Le Vent rageur!

L’enseignante donne les consignes : date de remise, nombre de mots, un léger rappel de ce qu’est le conte. Et surtout, il doit être écrit à deux. Rosie et Romain s’accordent pour faire équipe. Les jeunes bénéficient du reste du cours pour détailler le plan et amorcer leur réflexion.

*

Le vent rageur!

Furieux de s’être fait voler sa route préférée de livraison de tourbillons, Zéphyr fulmine, perd la tête.

Il enjambe le ruisseau à la frontière du champ, soulève les dernières récoltes étendues au soleil d’automne, court, rage, tempête. Le vent rageur n’épargne rien, ni personne.

Zéphyr soulève la maison des Saugrenus au bout de ses bras. Il déracine un arbre pour éventrer celle de Cupidon.

Effrayée par la musique sépulcrale que chante le vent, la licorne sort de chez elle avec prudence, son frôlement d’ailes risquant de faire s’écrouler les murs amochés. Elle s’empresse de porter secours aux voisins : la dame geint, écrasée par une poutre; monsieur semble inconscient, allongé à ses côtés. Cupidon jette un regard autour d’elle, cherche les enfants. Où sont les jumeaux? Impuissante, elle appelle les services d’urgence – Cupidon garde toujours son téléphone à portée de main; au besoin, elle branche l’appareil dans la pointe de sa corne pour recharger la batterie… sauf que ce n’est pas le moment de discourir sur les avantages ou les inconvénients du téléphone intelligent – le temps presse, tenons-nous en à cela!

Souffler la maison des Saugrenus comme fétu de paille, assommer le toit de chez Cupidon comme on frappe la balle d’un circuit n’apaisent en rien le souffle vengeur de Zéphyr; simultanément, il arrache la toiture de la chambre de Frida comme on déchire la robe de la mariée le soir des noces. Sidéré par l’ampleur de sa folie destructrice, Zéphyr disparaît aussi sournoisement qu’il a surgi, s’évanouissant dans le fossé de l’autre côté de la route.

La licorne avait quitté son amie à peine une demi-heure plus tôt après avoir regardé un film ensemble. Distraite par l’imprimé flamboyant de la robe de Frida, captivée par l’éclat des fleurs qui la décorent, Cupidon avait refoulé son désir de la séduire en grignotant des cornflakes aux pépites de chocolat.

*

Les secours arrivés dans le décor la libèrent. Secoue-toi Cupidon. Accours auprès de Frida. Vérifie que tout va bien pour elle.

Sur place, elle constate une faible lueur s’échappant de la chambre déchapeautée de Frida.

– Frida, je suis là. M’entends-tu?

– Oui, tout va bien. Je cherche mon soulier.

– Ce n’est pas le moment de te faire belle. Il faut sortir de chez toi avant que les murs s’effondrent. Viens m’ouvrir.

– Je ne peux pas. Je cherche mon soulier.

Au passage de Zéphyr, des confettis de gyproc ont brisé l’œil de verre de Frida qu’elle retire toujours avant de se coucher. À demi-aveugle, elle s’est glissée de son lit pour tâter le plancher.

Propulsée par sa corne magique, Cupidon atterrit dans la chambre de Frida, battant son propre record de saut à la perche.

– Mais pourquoi cherches-tu ton soulier Frida? Viens pieds nus jusque chez moi. Je te prêterai des pantoufles.

– Mon soulier est moulé à ma jambe et sans ma jambe, je suis incapable de marcher.

Cupidon en perd la parole en observant Frida ramper jusque sous le lit à la recherche de son soulier. Alors, et seulement alors, elle pourra enfiler la jambe, se lever, se tenir debout, marcher et quitter la maison.

Sans distinguer les traits de Cupidon, Frida vibre à la voix chaude de contralto de son amante. Par son œil de cœur, Frida ressent les émotions de la licorne. Mon handicap l’a assommée pense-t-elle en déployant ses bras de gauche à droite pour retrouver son soulier.

Cupidon connaît Frida depuis toujours. Jamais elle n’aurait imaginé que son amoureuse portait un œil de verre et encore moins qu’elle enfilait une jambe artificielle pour marcher. Le regard lumineux de Frida envoûte autant que la grâce de ses mouvements. Qui aurait pu croire à pareils handicaps? À l’évidence, Cupidon portait et porte sur Frida un regard de tendresse, de désir; elle brûle du feu de l’amour. La pitié ne figure pas au menu.

Secoué, Zéphyr exècre cette romance à l’eau de rose entre Cupidon et Frida. Une pointe de jalousie s’émoustille et l’agite. Il quitte sa retraite pour semer la zizanie.

Railleur, enjôleur, il se déhanche et tend la main à la belle dont la robe de soie chatoie d’étoiles de cristal.

Ébloui, il entraîne Frida dans ses volutes. Borgne et unijambiste, frissonnante, elle se déploie en aurore boréale dans un ciel nordique.

*

Feuilles en mains, Rosie et Romain s’apprêtent à lire leur composition devant la classe. D’un geste théâtral, Zéphyr s’immisce par la fenêtre et émiette leur conte en un rai de poussière.

© Véronique Morel 2020, texte et photo soulier

© Louise Thérez 2020, œuvre Étoiles de cristal, https://www.facebook.com/impatiente.devivre.79

© Licorne, https://www.ungrandmarche.fr/merceries/p/customisation-textile/appliques-thermocollants-licorne-echevelee-tissus-paillet/2668176

https://www.ungrandmarche.fr/merceries/p/customisation-textile/appliques-thermocollants-licorne-echevelee-tissus-paillet/2668176

Dans le coffre de la voiture

23 dimanche Fév 2020

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#courtepointedevitraux, #dentellesdemots, #gangdeblogueuses

Encore ensommeillée, Olga s’accoude à son oreiller pour capturer la dernière scène de son rêve qui coule inexorablement vers le néant.

Dans le coffre de la voiture, le corps d’une jeune femme recroquevillée en position fœtale.

Elle ferme les yeux pour l’immortaliser dans sa mémoire, même si un frisson glisse le long de sa colonne vertébrale : celui normal du réveil ou celui, plus insidieux, de cette scène troublante.

La même lourdeur l’habite chaque matin. Elle dort bien pourtant. Sauf qu’affronter une nouvelle journée lui pèse. Sa routine matinale prendra le relais pour la soustraire à la réalité encore quelques minutes, jusqu’à l’arrivée au travail.

Elle exécute sa tâche avec minutie. Elle vérifie les véhicules de location remis après les trois années écoulées du contrat. Elle voit si la carrosserie est cabossée ou égratignée. Les banquettes sont-elles abîmées, déchirées, tachées? Les pneus, le moteur, la rouille… rien n’échappe à ses yeux expérimentés. Elle rédige et remet le rapport à la comptabilité qui verra, au besoin, à réclamer des frais à l’usager.

– Ugo, peux-tu ouvrir le coffre s’il-te-plaît?

– Comment ça ouvrir le coffre? Sers-toi de la clé comme à l’habitude.

– Non Ugo. Je suis incapable.

– Ben voyons! Qu’est-ce qui t’arrive à matin?

Ugo ouvre le coffre arrière sans difficulté en lançant une œillade de mépris à sa collègue. Olga le constate : le coffre est vide.

– Ah les filles! assène-t-il dans un long soupir! As-tu besoin de vacances?

*

Elle négocie l’étalement de ses vacances. Ses lundis et vendredis s’arriment aux samedis et dimanches pour lui offrir un temps d’arrêt salvateur à son équilibre mental.

Elle en profite pour découvrir sa ville natale, celle qu’elle habite depuis sa naissance. Une ville qui se résume au quadrilatère sécuritaire de l’épicerie, de la pharmacie, du bureau de poste et de la boulangerie. Le quadrilatère où sommeille un minuscule parc à la verdure jaunâtre, aux arbres rachitiques. Trois bancs où se reposer, sauf que l’un d’entre eux est dénudé de siège. Il en reste deux, généralement occupés par des traînards assis sur le dossier, les pieds posés sur le siège; des jeunes qui devraient être à l’école et qui préfèrent l’enseignement des oiseaux, des passants, des nuages. Les trottoirs du quadrilatère montrent sans scrupule des vergetures, des rides grisâtres, des plaies éventrées. Une fine poussière bruine devant le soleil miteux, donnant à la cinquantenaire la sensation de se vêtir d’un vieux froc. L’odeur âcre de la levure ou les émanations venues du port s’infiltrent avec parcimonie dans les poumons des résidents du quartier. On s’habitue à tout, non?

Elle défraie les coûts des tournées touristiques avec ses maigres économies. Elle découvre les murales à caractère social sur lesquelles revendiquent des citoyens pour l’accroissement de logements sociaux, une équité pour le travail invisible des femmes ou l’historique de leur émancipation grâce au droit de vote. Des murales exhibent les visages des communautés culturelles attablées devant des paniers de fruits et de légumes colorés. Cette tournée lui donne le sentiment de visiter un musée à ciel ouvert et lui ouvre la porte à des lieux inconnus de sa ville natale. Une autre exploration l’amène dans trois parcs nature de la métropole. Des parcs se baignant dans les rivières entourant sa ville. Des parcs respirant la verdure, la fraîcheur, la lumière, la beauté. Une beauté dont elle ignorait l’existence.

Cette fin de semaine-ci, elle se risque dans un quartier accessible à des heures précises : entre huit et neuf heures, entre midi et treize heures, entre 18 et 19 heures les piétons et les automobilistes peuvent sortir et entrer comme s’il fallait franchir un pont-levis pour accéder à ce royaume. Elle marche quasiment sur la pointe des pieds pour respecter la quiétude des lieux. Tout est propre. Les devantures des propriétés imposent avec les pierres grises habillées de lierre. Les tourelles cajolent les hêtres et les érables majestueux. Les châtelets se posent dociles de part et d’autres d’allées larges, sans moisissures ou taches de sang sur les trottoirs. Ébaubie, elle redresse les épaules et respire en profondeur pour s’imprégner de ce décor de contes de fées. Bientôt l’heure sonne, elle doit franchir la grille pour éviter d’être emprisonnée dans un donjon. Tout cela dans sa propre ville!

*

La dernière fin de semaine de vacances s’ouvre à Olga, rajeunie par ses découvertes au fil de l’été : des lieux enchanteurs existent dans sa ville plus grande que son quartier; le soleil s’élève haut dans le ciel des partages de la société des nations dans laquelle elle vit.

Sans savoir ni comment ni pourquoi, elle sort de la station de métro qui donne sur une rue piétonne, dans un quartier inexploré de la ville. L’air est bon, le soleil culbute sur les nuages, peu de piétons déambulent, sans doute au travail à cette heure du jour.

Dis-donc, tu en as du front tout le tour de la tête pour percer le béton, en quête de lumière! Tu en as du cran pour briser les conventions, sortir du rang d’un parterre bien entretenu pour voir d’autres cieux. Tu ne crains pas d’être écrasée?

La touriste jette un regard autour d’elle. Personne ne l’a vue s’adresser à la fleur malgré le sentiment de culpabilité qui la gagne. Parler à une fleur. Faut être malade! se dit-elle en silence. Olga envie cette fronde de la fleur. Elle s’en veut de marcher la tête dans les épaules, méfiante, épiant tout ce qui l’entoure. Elle déteste se voir observer les consignes sans jamais se rebuter.

Je suis une vraie pâte molle!

Un serrement à la gorge bloque une larme qui se pointe.

Elle entre dans un café. L’espace est vaste, bien éclairé par deux larges vitrines. Une dizaine de chevalets occupent la place. Tout au fond, une dame la salue.

– Venez prendre un café.

Assise au comptoir, la cliente trempe un biscotti dans le cappuccino vraiment délectable. Cette dégustation la fortifie.

– Pourquoi tous ces chevalets?

– C’est un espace d’apprentissage. Avez-vous déjà peint?

– Non répond-elle, les yeux écarquillés.

– Ce lieu est pour vous. Vous enfilez une vieille chemise, vous prenez un pinceau et vous vous exécutez.

– Je veux bien. Mais je viens de vous dire que je n’ai jamais fait ça de ma vie.

La néophyte s’installe au chevalet devant la vitrine. Elle tient un pinceau dans la main. Elle hésite. Plusieurs couleurs se trouvent sur la table tout à côté. Je vais avoir l’air d’une vraie folle. J’ai jamais touché à de la peinture. Qu’est-ce que je vais dessiner?

Du fond de la pièce, comme pour répondre à cette pensée d’Olga, la dame intervient.

– Lancez-vous.

Olga dépose le pinceau. Elle enduit son majeur d’une couleur puis l’étampe sur la toile. Son empreinte crée une tache. Elle répète le manège encore, et plus. Des taches de sang, de rouille, de sueur emplissent la toile. Avec ses mains, elle trace des taches de rancune, de colère, de tristesse innommables. Toutes les noirceurs de sa vie encrassée s’entremêlent les unes aux autres. Elle se recule pour admirer sa création. Étonnée, elle remarque le chemin de lumière au centre de la toile, une porte ouverte sur un ailleurs.

 

*

Encore ensommeillée, elle s’accoude à son oreiller pour capturer la dernière scène de son rêve qui coule inexorablement vers le néant.

Du coffre de la voiture émerge une femme, pieds nus, cheveux défaits, fougue conquérante accrochée aux yeux.

Olga comprend enfin la portée de ses rêves : prisonnière d’un espace clos, tapie dans ses certitudes, fermée à ses propres désirs, elle redoute la découverte. La fleur, plus vivante que jamais, lui fait signe d’aller au-delà des convenances, de foncer, de percer les armures qui la tiennent prisonnière de son existence. Au-delà des formes peintes sur la toile, elle s’attache à l’éclat de lumière qui ouvre la voie à la création, un chemin qui s’enjolive de peines et de misères, de doutes, d’incompréhensions, de ruptures pour faire germer des fleurs d’où, comme une abeille, elle pollinisera son jardin intérieur.

© Véronique Morel 2020, texte et photos

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