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Véronique Morel

~ Nouvellière et dentellière de mots

Véronique Morel

Archives Mensuelles: mai 2019

La boîte aux morts

29 mercredi Mai 2019

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#abandon, #cimetière, #cimetières, #courtepointedevitraux, #dentellesdemots, #poupée, boîteauxmorts

À marcher sur le versant descendant de la vie, il arrive que les yeux intérieurs mènent aux berges de l’enfance, dans ce monde nourri de spectres, de fantaisies, d’abandons.

La voyageuse retrouve son cimetière. La boîte aux morts lui arrivait aux épaules à l’âge de quatre ans; aujourd’hui, à la cuisse. Ce qu’elle a grandi! Elle doit s’agenouiller pour porter son regard dans les cavités mystérieuses.

La septuagénaire recrée les pèlerinages, chamboulée par la résurgence de ses peines.

Une fleur de pissenlit, ratatinée, témoigne de son premier détachement. Elle l’avait bisoutée en guise d’adieu, avant de l’encastrer dans un trou de la brique.

Chaque jour se nourrissait d’une nouvelle sépulture : une feuille morte; une cocotte, une couleuvre; une roche trouvée près de l’eau; une rainette… En soustrayant de sa vue les êtres vivants ou les objets précieux, l’enfant noyait, dans les abîmes de son âme, les meurtrissures qui la dévoraient. Elle explorait la face cachée de la vie : un endroit où ses amis imaginaires l’accompagnant dans ses jeux seraient privés de son affection, de ses câlineries.

« C’est quoi sté barbouillages-là? » La voix, projetée sur les volutes de fumée échappées du fourneau de la pipe de son père, pétrifie l’enfant. Humiliée, elle abandonne les crayons. Ses dessins chiffonnés gisent entre des troncs d’arbre : un collier de larmes suspendu à un croissant de lune; un chat à trois pattes; une maison en flammes; un oiseau s’écrasant au sol. Le vent, le froid, l’infiltration d’eau auront délavé les couleurs, détrempé le papier, décharné à tout jamais la créativité de la fillette.

Le jour de ses sept ans, elle avait déposé sa première dent de lait dans une ouverture dentelée du grenier de son cimetière.

De même pour ses cheveux! La fillette avait retrouvé une mèche au pied de la boîte aux morts le lendemain de la catastrophe. Infestée de poux, la chevelure brune ondulée avait succombé à chaque coup de ciseaux comme l’arbre à chacun de la hache. L’enfant et le géant des bois enduraient une telle violence : l’arrachement à leur essence vitale!

La visiteuse tournoie autour de l’index une frange grise qui lui couvre l’œil gauche en étouffant de ses lèvres le chagrin qui l’envahit. Sa mère l’avait grondée en lui rasant la tête : « Arrête de pleurnicher, braillarde! Ça va pas te faire mourir! » Sa mère se trompait. L’enfant était morte à elle-même ce jour-là, aux fantaisies qui l’habitaient, aux personnages d’outre-tombe qui la visitaient dans ses sombres pensées.

Comment pouvait-elle encore se déplacer dans le monde des vivants après toutes ces années d’errance?

La femme détaille ces cavernes de sépultures avec tendresse. La boîte aux morts lui appartient. Cachée sous les arbres près du ruisseau, aucune autre personne ne l’a débusquée. Grâce à la boîte aux morts, la fillette a su apprivoiser les affres de sa vie.

Soudain, une larme s’étrangle dans sa gorge. Ses yeux croisent le caveau dans lequel repose sa poupée?

La consigne donnait froid dans le dos : il fallait partir vitement, à la nuit de la lune noire, fuir. Avec un minimum de bagages pour ne pas s’alourdir. De quel courroux la famille devait-elle se prémunir? De quelle infraction l’accablait-on? La Justice débusque les criminels et les condamne. Son père mourra en prison.

Décontenancée, la brunette avait couru jusqu’à la boîte aux morts, la poupée serrée contre son cœur.

« Je ne veux pas que tu disparaisses par leur faute, Artémise. Je vais t’ensevelir pour t’épargner le mal qu’on pourrait te faire. Je serai seule à connaître notre secret, le lieu de ton dernier repos. »

D’un geste assuré, la fillette avait cassé le cou de sa poupée tressée en feuilles d’épi de maïs; la tête pendait, désarticulée. L’enfant l’avait aspergée de ses larmes avant de la coucher dans le caveau.

Les mains de la dame tremblent. Peut-elle seulement profaner ce lieu? S’il ne restait que de la poussière derrière la porte verrouillée d’un bandeau de bois! Devrait-elle plutôt garder en elle la survivance de sa poupée, fabriquée des mains aimantes de sa grand-mère?

Elle se signe et rebrousse chemin.

© Véronique Morel 2019, texte et photos

Photos prises au Jardin botanique de Montréal

LE BÂTISSEUR

09 jeudi Mai 2019

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

≈ 11 Commentaires

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#bâtisseur, #château, #plage, #sable

Papa m’a dit « Habille-toi, on va jouer dans le sable. »

Je me suis mise à sautiller, à taper des mains et à crier de joie.

« Fais vite, que m’a dit papa. Les grains de sable pourraient s’envoler sans nous. »

J’ai freiné les élans de joie qui voulaient sortir de mon cœur, j’ai couru jusqu’à ma chambre pour me vêtir du costume de plage à sable, m’habiller en pelleteuse de rêves.

« Vite Poucette! Vite! Je pars. »

« Attends-moi papa. J’arrive. »

J’ai descendu l’escalier sur les fesses, bondissant comme un ballon. J’ai atterri debout sur mes deux pieds. J’ai replacé mon chapeau de paille garni d’un petit bouquet de fleurs écarlates. J’étais chaussée de mes bottes parce que le sable, c’est presque toujours mouillé. J’avais mon imperméable sur le bras, au cas où la pluie nous surprendrait.

Nous avons roulé longtemps, longtemps. J’ai dormi, la tête appuyée sur mon épaule, mon index enlacé dans un tournicotis de couette frisée marron.

Les sautillements de la voiture sur la route cahoteuse m’ont réveillée. J’ai jeté un œil aux nuages menaçants, j’ai froncé les sourcils en leur disant : « Vous autres, allez jouer dans la forêt. La plage, c’est pour papa et moi. Allez, ouste! »

Papa a enfilé son sac à dos, il a posé sa casquette sur sa tête, il tenait ma main droite, tandis que ma gauche portait mon coffre rempli des accessoires indispensables pour la construction d’un château de sable. Papa transportait le panier à pique-nique et quelques outils de menuiserie.

Fleurs au solLes dunes traversées, nous avons marché un long moment avant d’arriver à destination au bout de la pointe. Les vaguelettes enjouées chatouillaient le sable, le recouvraient d’une pellicule transparente puis retournaient à la mer dans un cri joyeux.

Avec papa, nous avons ramassé un tas de sable gros comme un éléphant. Le château allait être de rêve! Puis, nous nous sommes mis à la tâche. Façonner des tours, des fenêtres, des balcons, de longs corridors menant à un donjon, un pont-levis, des chaînes pour le tenir, une étoile du Nord accrochée à la flèche du clocher, ça demandait une dextérité fine, un doigté d’expert.

Papa travaillait avec minutie. Il était un as de la menuiserie sablée. Il sciait les murs avec un bâton de popsicle, il tournait des rambardes autour de ses doigts, il dessinait des volutes avec une corde, tout en sifflotant le même air sur trois notes, son mantra.

Nous avons cassé une croûte rapide pour éviter l’assèchement du sable, au risque de voir la structure s’effondrer. En milieu d’après-midi, prise d’une grande lassitude, je me suis endormie au pied du château, le chapeau de paille me protégeant le visage des rayons hardis du soleil. J’entendais papa siffloter son mantra. Je percevais parfois son souffle chaud qu’il dirigeait sur quelques grains délinquants pour les chasser du château. Il a travaillé sans relâche, jusqu’à épuisement.

Je me suis réveillée au pied d’un château immense, aussi haut que moi. Il était féerique. Un vrai château de princesse! Une fois la surprise passée et la joie, estompée, j’ai réalisé que je ne voyais pas papa. Où était-il?

Papa?

Rien. Aucun son. Même le vent retenait son souffle.

Papa? Où es-tu papa?

Un nœud viscéral m’a tordu le ventre. Vite, j’ai bondi comme une biche apeurée à la recherche de mon papa. J’ai marché longtemps pour arriver de l’autre côté du château où j’ai enfin trouvé mon père amenuisé, diminué, rétréci. Papa était sur son déclin, épuisé par son dur labeur, comme le soleil sent le besoin de se retirer au crépuscule. J’ai vu la douleur lui transpercer le corps. Une junte de puces de sable avait envahi sa charpente corporelle et mon papa décrépissait à vue d’œil. J’ai voulu le secourir en le prenant dans ma main; une fine pluie sableuse coula comme une source entre mes doigts. À la tombée du jour, papa retourna à la terre s’y reposer en paix.

J’étais seule dans le silence de la nuit naissante. Seule sous un ciel étoilé dans lequel je cherchais l’étincellement de mon papa.

Je devais agir. Sois partir par devant, en empruntant la mer; j’avais une peur bleue de l’eau. Ou me terrer dans le château; son pont-levis était fermé, impossible d’y entrer. J’ai donc défait le chemin parcouru le matin même de notre escapade. Tout le long du sentier, j’ai ramassé les cailloux semés par papa à mon insu. Fleurs imaginaires d’un royaume inachevé, je les cueillais pour m’en faire un jardin japonais où j’irais chanter un mantra. J’ai marché longtemps, très longtemps. Certains pas étaient lourds, effarouchés, inquiétés par un coup de vent venu du large qui cherchait à me confisquer mon chapeau de paille. Certains autres étaient gracieux, portés par un vent subtil à l’odeur de foin de mer, un vent qui me chatouillait subrepticement la joue en un baiser d’une infinie tendresse. Que mon pas soit pesant comme un orage de juillet ou léger comme une neige scintillante, papa m’accompagnerait.

Il m’arrivait de vouloir marcher sans lui parce que je le trouvais envahissant, dérangeant. Je n’aimais pas sentir son regard derrière mon épaule. Je me sentais brimée, jugée. À d’autres moments, j’avais tellement besoin de sa présence rassurante, je souhaitais tant le voir à mes côtés et entendre son mantra musical.

Je visite la grande ville illuminée à la recherche des pas de mon papa. Ils me mènent aux monuments magnifiques qu’il a bâtis de ses mains crevassées par les gerçures, des immeubles qui suintent les sueurs salées de mon père, le bâtisseur : Gare centrale, Place Ville-Marie, Place des Arts.

Un jour, j’ai compris: fuir les pas incrustés dans le sable estropiait l’aventure exceptionnelle vécue avec lui l’après-midi d’un château de sable à la plage. Pour donner vie à notre château, je retourne à l’essence même de cet instant magique partagé avec mon père sur la plage sablonneuse.

Je fais le pèlerinage. J’y retrouve le château défraîchi, toujours aussi fier à dresser ses tours, ses arabesques, ses longues promenades et son pont-levis. Et, perchée sur la flèche du clocher, une étoile du Nord qui veille sur moi.

© Véronique Morel

Crédit photo : Luna Troizel (https://www.facebook.com/lunatroizel)
Reproduction autorisée

Une tasse d’eau salée

02 jeudi Mai 2019

Posted by Nouvellière et dentellière de mots in De mes dentelles de mots

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#courtepointedevitraux, #dentellesdemots, #pégase

J’ai avalé une tasse d’eau. Salée, très salée!

Je marchais comme à tous les jours sur l’avancement rocheux dans le but d’aller plus loin, de défier l’immensité. Depuis toujours.


Toute petite, je m’aventurais sur les rochers, au désespoir de mes parents qui craignaient pour ma sécurité. Une fois au bout de l’avancement, je m’accroupissais et tendais mes bras à la hauteur des épaules pour m’envoler. Je n’ai pas encore réussi cette manœuvre. Je ne possède pas le talent d’imiter les oiseaux… et même les avions qui l’accomplissent au quotidien.

Pourquoi doit-on noyer nos désirs à la seule raison d’une incapacité? Pourquoi, si je veux voler, je n’arrive pas le faire? Je sais. Avec un attirail coûteux et loin d’ici, je saurais relever ce défi. Ce que je veux, c’est voler par la seule force de ma pensée.

Aujourd’hui, comme à l’accoutumée, j’ai marché jusqu’au bout de l’avancement rocheux dans la mer. Une fois de plus, j’ai ouvert les bras pour les transformer en ailes. Après avoir gonflé mes poumons comme une montgolfière, je me suis élancée… puis j’ai avalé une bonne tasse d’eau salée.

Misère! Je ne demande pas la lune! Je veux simplement voler! Comme Pégase dans les nuages!

© Véronique Morel, avril 2019

© Crédit-photo : Luna Troizel – reproduction autorisée
https://www.facebook.com/lunatroizel

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