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Un conte de Fleurabie

Sous la garde du majordome depuis l’exil des maîtres sur leur yacht privé voguant dans les eaux chaudes de la Mer des Sarcasmes, la bête neurasthénique aboyait à fendre l’âme, déchirait la vitre de la porte-patio de ses griffes fraîchement limées. De fait, le lévrier afghan était passé chez sa toiletteuse la veille. Elle lui avait fait un shampoing et peigné son pelage gris-bleu un long moment tant pour le bien-être de l’animal que pour les frissons qu’elle en éprouvait.

Par un jour drapé d’une nuit minérale, l’Intouchable, arrivé de nulle part, apparut dans le jardin luxuriant d’une demeure cossue à l’ombre des tours du centre-ville.

Le survenant ne payait pas de mine : visage sans bras ni pieds, tignasse ferreuse, yeux menaçants, sourire édenté. En fait, telle était la description donnée par le majordome aux autorités suspicieuses.

Depuis plusieurs mois, les communications se chargeaient de verglas. La population entière sentait les sueurs froides lui brûler le dos. L’État semonçait ses habitants d’éviter de regarder l’Intouchable dans les yeux, au risque d’en mourir.

Au coucher du jour, avant même le lever de la nuit, le majordome installé à la fenêtre épiait l’Intouchable.

La masse informe, ni ronde ni plate, s’incrustait derrière la clôture du jardin au fil des mois s’égrenant d’une lenteur démentielle. Quand l’Intouchable fermerait-il les yeux? Sur quelle tonalité émanerait un son de sa bouche? Le majordome redoutait ce moment tout en mijotant le plan d’aller à sa rencontre, le toucher pour comprendre sa texture, tenter de le faire parler.

Depuis l’atterrissage de l’Intouchable dans le jardin au pied des gratte-ciel, la nuit s’entêtait à ronger la clarté du jour aussi bêtement que le lévrier afghan stressé se grattait le pelage au sang. Il faisait noir comme chez le loup, la population restait confinée, sauf quelques badauds intrépides voulant lorgner les intérieurs des châteaux urbains par les fenêtres éclairées… et qui sait, narguer l’Intouchable!

Ce serait cette nuit. Le majordome, vêtu d’un scaphandre, sortit de la demeure après avoir administré un soporifère au lévrier afghan. Il valait mieux éviter d’affoler l’animal avec pareil déguisement. Les bottes lunaires freinaient l’homme dans sa marche sur la pointe des pieds. Ses pas chancelants alertèrent l’Intouchable. Des yeux délétères bombardèrent la poitrine du majordome d’éclairs rouges sans que celui-ci ne bronche d’un poil. L’Intouchable se déplaça en se contorsionnant, même s’il semblait avoir pris racine. L’attaque aux dards rouges terminée, le majordome risqua une conversation.

– Doux, doux!


La gorge foudroyée par un volcan d’acidité, il poursuivit.

– Hum! Madame? Monsieur? Vous, je ne vous veux aucun mal. Avez-vous faim? Ou soif? D’où venez-vous?

Les poumons en feu, le majordome s’obstinait à traquer l’intrus.

– Hum! Hum! se raclait-il le gosier. Excusez-moi d’avoir mis tant de temps à vous approcher. Vous savez, les autorités m’interdisent, à moi et aux concitoyens, de vous regarder au risque de trouver la mort.

Impavide, l’Intouchable défiait le majordome. Aucune émotion n’éclairait le visage de l’intrus. Le majordome s’approcha de plus en plus de l’Intouchable, allongea le bras…

– Arrêtez! Je vous en supplie, redonnez-moi mon bras! implora le majordome dans une quinte de toux. Je ne vous veux aucun mal. J’espère tout simplement comprendre qui vous êtes, ce que vous nous voulez, comment nous pouvons vous aider à retourner chez vous.

L’Intouchable recracha le bras en se blottissant sur la clôture dentelée.

Tout à coup, une bruine scintillante enveloppa le jardin d’un halo. Affolé, le serviteur voulut se soustraire à cette blancheur le plaçant sur la sellette d’un monde déchu.

Ralenti par son accoutrement, il rampa de peine et de misère jusqu’à la demeure cossue en traînant sa carcasse de limace, asphyxié par des sueurs sulfureuses. La porte-patio fermée derrière lui, il étira son regard fiévreux vers son mercenaire.

L’Intouchable se tenait bien campé
sur un rai de bruine.
Il aspira le majordome dans son vortex.
Le nuage blanc s’éclipsa tel un véhicule céleste s’estompe dans une nuit sans lune.

Au matin, encore somnolent, le lévrier afghan pleura, allongé près d’un scaphandre traversé d’innombrables dards rouges. Vide.

Heureux temps des fêtes
à toi qui aimes me lire.
Santé!
Ensemble, comblons de notre mieux
les besoins des autres!
Ensemble,
vibrons à la Beauté qui nous habite,
celle de notre âme!

Paix et Joie
Heureux Noël
Bonne Année 2021!

© Véronique Morel 2020, texte, photos
Note : les photos de L’Intouchable et de la demeure cossue représentent des emballages cadeaux fabriqués de mes mains en 2019.