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Premier lundi
Bonjour
Quelle joie de vous retrouver ici, autour de la table. Du coup, j’en doutais. Je me disais… Peu importe. Voilà, vous, jeunes hommes et jeunes femmes, acceptez de prendre part à l’atelier indéfini Où cela nous mène-t-il.
Quelle impolie je fais tout de même! Voilà, je me présente. Carmine, artiste multidisciplinaire. Je peins, je sculpte le vitrail, je crée des vêtements pour chefs de chœur et choristes. Depuis peu, je m’adonne à l’orfèvrerie de bijoux de piercing. Aussi, je carbure à l’aventure depuis toujours : escalade, course en moto ou en trimaran, bunjee et tant d’autres. Rassurez-vous, nous ne nous lancerons pas dans ce type d’aventures.
Du coup, j’animerai l’atelier pour les quatre prochains lundis. Vous participez à celui-ci avec la seule contrainte de pouvoir photographier avec votre téléphone. Ça va, vous en possédez un?
Et toi, je veux m’assurer que tu en possèdes un. Peux-tu me le montrer s’il-te-plaît?
Voilà. Tout est en règle. Débutons.
Du coup, faisons connaissance. Présentez-vous de façon brève en donnant votre prénom et les motifs à vous lancer à l’aveugle dans un projet un peu fou, sans savoir où il nous mène. Ah! Je vois! La gêne vous gagne. Qui plongera en premier?
Un vingtenaire, sculpture albâtre, s’avance sur le bord de sa chaise, se gourme avant d’entonner: Bonjour, je me prénomme Hervé. Sa voix grave enjôle l’auditoire. J’étudie en génie mécanique à Poly. Le contenu non défini de l’atelier me permettra, je l’espère, de me divertir et de m’éloigner de la science le temps d’une soirée. De plus, l’inconnu me titille.
Je m’appelle Olympe. Je me demande si je possède encore la témérité de mes 20 ans, le goût du risque, de l’aventure, celui d’aller à la découverte d’ailleurs passionnants. Je me lance les yeux fermés, confiante et déterminée à relever le défi.
Soixantaine aux tempes grises, l’homme confie être à la retraite. Je m’appelle Alejandro, bonsoir tout le monde! Son accent musico-piquant rallume l’auditoire. Ma petite-fille m’a convaincu de m’inscrire à une activité au lieu de poireauter à l’attendre durant son cours de ballet-jazz. Tant qu’à ne rien faire, aussi bien me jeter dans l’inconnu. Passer le temps, relever un nouveau défi, rencontrer des personnes aussi folles que moi. Excusez! Il entraîne le groupe dans une vague rieuse.
Je me prénomme Moussa. Bonsoir à vous. Mon ami Hervé ici présent m’a tiré l’oreille pour participer. « À deux, ce sera plus stimulant. » qu’il m’a dit. « Ça t’éloignera des nerds de Poly. » Obéissant à Hervé, j’entends aussi ma curiosité s’animer, l’envie de plonger dans le mystérieux. Madame Carmine, est-ce que ça fait mal? Son sourire franchit une muraille de porcelaine immaculée.
Et toi? Du coup, comment t’appelles-tu?
Une mèche mauve devance une tête émergeant du capuchon d’un hoodie, rendant la jeune femme borgne. Un chant d’oisillon inaudible s’envole vers l’assistance.
S’il-te-plaît je te demande de parler plus fort pour que nous puissions t’entendre. Allez, tu le peux.
Ma TS me pousse à rencontrer des gens, à participer à une activité qui me plaira. Je ne sais pas ce qui me plaît. Hésitante … Je suis ici. Certainement pas par goût de l’aventure. La curiosité peut-être. Ou juste pour satisfaire ma TS… et comme je sais faire des photos avec mon téléphone… ben…
Merci beaucoup. Du coup, peux-tu nous dire ton prénom?
… hum hum… Andy.
Merci Andy. Merci à vous aussi d’avoir créé l’atmosphère bon enfant dans laquelle nous nous retrouvons. Voilà, plongeons! Tout d’abord, il ne sera absolument pas question d’autoportrait. Nous allons dans un autre univers. Regardez ici, dans le local, plusieurs éléments disparates meublent l’espace. Du coup, pour les prochaines quinze minutes, je vous demande de photographier à votre guise. Choisissez l’angle, captez deux-trois objets à la fois, peu importe. Pour le moment, nous explorons. Allez, lancez-vous. Du coup, j’espère que vos téléphones sont suffisamment chargés!
Le quintette envahit la grande salle, les clics pétillent. « Place-toi près du pupitre, je vais photographier l’ensemble. » propose Moussa. « Je ne crois pas que ce soit indiqué de me voir dans ta photo. », décline Olympe.
Carmine projette les photos sur l’écran, pointe celle de la ruelle qui ne répond pas à la directive malgré l’originalité de la scène. Elle commente les autres photos et félicite les participants pour leur intérêt manifeste à l’activité. Le temps file à toute vapeur dans ce plaisir de photographier.
Voilà la consigne pour la semaine prochaine : me fournir une photo, deux tout au plus, mais pas n’importe laquelle. Tout au long de la semaine, je vous invite à arpenter les rues de votre quartier en regardant en haut et en bas, tout le tour, pour dénicher des subtilités qui peuvent nous émouvoir, nous surprendre, peu importe. Tout au long de la semaine, ayez l’œil ouvert et le clic à portée de doigt. Du coup, il vous suffira de choisir dans votre porte-folio pour soumettre celle qui vous rejoint le plus. Pour le reste… mystère!!!
Deuxième lundi
Quatre personnes excitées renouent avec plaisir, saluent Carmine, échangent des commentaires sur leurs trouvailles. Andy, retirée dans le capuchon de son hoodie, assombrit un tantinet les retrouvailles. L’animatrice lance l’activité.
J’aime votre enthousiasme. C’est un plaisir pour moi de vous revoir. Voyons vos découvertes. Du coup, à tour de rôle vous commenterez votre photo, ce qu’elle représente pour vous, les émotions, souvenirs, intérêts qu’elle soulève. Qui débute?
Je veux bien.
Alejandro, nous t’écoutons.
J’ai vu cette murale près de la station de métro Mont-Royal. Mon cœur a chaviré tout de suite. J’ai revu ma mère dans ce tableau : Yamara et Terre-Mère. Ma mère m’a allaité avant de mourir d’un cancer du sein.
J’ai immigré ici en 1973, lors du coup d’État au Chili. Je n’avais jamais imaginé voir ma mère sur une murale à Montréal.
Merci beaucoup Alejandro pour ce témoignage. Il m’émeut beaucoup. Du coup, qui veut poursuivre?
Alejandro, tu m’as vraiment touchée avec ton commentaire.
Merci Olympe.
Bien sûr, de nature rebelle, je ne pouvais pas me limiter à une photo; en voici donc deux.
Je m’arrête sec avant de piétiner cette ombre qui traverse le trottoir. Pour moi, elle représente une pellicule de film. Oh la la! Les souvenirs s’étrivent, se bousculent…
S’étrivent, c’est quoi? chuchote le capuchon du hoodie.
S’étrivent… se taquinent répond Olympe. Elle reprend … les souvenirs se bousculent pour briller sur le devant de la scène. Plus tard, je vois ce filet sur un chantier de construction. La vision me catapulte sur l’écran de ma jeunesse, alors participante à la Course autour du monde.
Tu as fait la Course autour du monde, s’exclame Alejandro. J’ai suivi cette compétition à la télévision pendant des années. Quelle expérience tu as dû vivre!
Alejandro, je t’invite à prendre un café pour t’en parler si tu veux bien, propose Olympe.
Du coup, poursuivons. Messieurs? Andy?
Andy, Andy, Andy scandent les universitaires.
Affolée, Andy s’empare de son téléphone sur la table et se précipite vers la sortie. Moussa la rattrape à temps, lui chuchote quelques mots à l’oreille, lui passe le bras autour des épaules. Elle consent à regagner sa place dans le groupe.
Jeunes hommes, je vous en prie! Voilà, Andy a seulement besoin d’être écoutée avec plus de calme. Es-tu prête Andy? À toi.
D’accord Carmine. Quand même, tout le monde va rire de moi! Parce que je suis poche en photo. C’est niaiseux ce que j’ai fait.
Andy, as-tu entendu des moqueries lors des présentations précédentes? Andy caresse sa couette mauve pour se rassurer; serait-ce sa doudou? Du coup, pourquoi le ferait-on pour ta photo? Tu assistes, tu participes, sans doute parce que tu y trouves ton compte, il y a un déclic qui se passe en toi puisque tu persistes. Tu peux nous faire confiance. Allez, plonge!
Toute la semaine, j’ai juste vu des escaliers pis des arbres… y avait jamais rien d’étonnant. J’te dis, j’suis poche! Hier, quand même, j’ai vu un cercle sur le trottoir… comment ça s’appelle?
Un trou d’homme, répond Hervé.
Un trou d’homme… OK. C’est poche!
Andy, arrête. Ne dis plus cela. Ça n’apporte rien. Du coup, dis-nous plutôt comment tu as réagi en voyant ce cercle? Tu as choisi cette photo; il y a sans doute une raison. Dis-nous.
Ben… C’est drôle! Quand j’ai vu ça, j’ai comme vu le tapis tressé dans maison chez ma grand-mère. J’ai comme eu envie de toucher… puis non… ça doit être tellement salaud c’t’affaire-là.
Est-ce que c’est un beau souvenir pour toi?
Un peu. Surtout non. Comment tu t’appelles déjà?
Olympe.
Des fois Olympe, je tournais comme une toupie pour m’amuser. Des fois, je passais mes doigts sur les tresses pour… Andy ravale son mot, déroutée, bouleversée, terrifiée… Des fois, c’était pas l’fun. OK. J’suis fatiguée.
Les participants l’applaudissent; Andy passe sa mèche doudou sur ses yeux.
Andy, c’est super poignant ce que tu racontes. Excuse ma maladresse de tout à l’heure en t’offrant de te protéger. Je vois que tu te défends très bien toute seule. Si tu veux bien, je vais prendre le relais.
C’est beau Moussa. Du coup, nous t’écoutons.
Comme Alejandro, j’ai été chamboulé par cette murale près de la rue Duluth. On dirait mes parents; ils étaient champions internationaux en danse sociale. Mes parents adoptifs sont morts dans le même accident de voiture à trois heures d’intervalle. J’étais abandonné quand ils sont venus me chercher au Sénégal. Encore maintenant, me voilà seul. Heureusement, Hervé me soutient, m’épaule. C’est un frère pour moi.
Allez, frère! lance Hervé en se levant pour faire l’accolade à son ami. Frère? Ça va?
Une dentition immaculée décline une réponse positive.
Me croirez-vous? Hervé s’emballe. Je marche sur la rue de Bienville et paf! Ce magnifique personnage de papier m’apparaît derrière une vitrine. J’obtiens l’autorisation de le photographier.
Il inspirera le personnage principal de mon manga au temps des samouraïs.
Tu as écris un manga, s’enquiert Moussa?
Moussa et Hervé, du coup, vous approfondirez le sujet devant un café, vous aussi. Merci pour vos présentations exceptionnelles. Poursuivons l’atelier du jour. Je vous invite à entrer dans votre monde imaginaire et écrire un texte d’au plus cinquante mots en prose, en poésie, en slam… à votre choix.
Écrire! J’suis tellement poche en écriture. Ça va sortir tout croche. Comment j’va faire?
Andy, fais-toi confiance comme tu nous le montres depuis le début de l’atelier. Je te comprends, cela apeure d’explorer un nouveau médium, de descendre dans une grotte ou d’escalader le Kilimandjaro. Du coup, tu sauras nous surprendre, j’en suis convaincue.
C’est où le Kili… ça là?
C’est un volcan de l’Afrique souffle Moussa à Andy.
Carmine enchaîne: du coup, ce texte s’inspirera de votre photo. Ne la décrivez pas, au contraire tirez-en tout le jus pour la faire s’exprimer. Cinquante mots ou moins. Voilà, compris Olympe?
Tous se bidonnent pendant la distribution par Carmine d’un magnifique calepin et des stylos ou crayons de plomb selon sa préférence à chaque personne.
Quinze minutes avant la fin de l’atelier, Carmine donne les consignes pour le prochain rendez-vous.
Ça va? Voilà, bonne semaine tout le monde. Merci beaucoup pour votre participation. J’apprécie.
Troisième lundi
Bonsoir. Avez-vous pris le temps de vous rencontrer autour d’un café?
Un léger brouhaha anime le groupe, des rires fusent, rappellent l’intensité d’un échange autour d’une pizza. Seule Andy reste cloîtrée dans le capuchon de son hoodie, sa couette mauve pour tout bouclier.
Vous êtes formidables! J’ai reçu vos photos dans le délai convenu. Du coup, jusqu’à maintenant, trouvez-vous l’expérience hasardeuse, inquiétante, déstabilisante?
Pas du tout. Je n’ai pas le sentiment de m’être lancée dans le vide. C’est super chouette cet atelier, mordille Olympe, tournoyant un bonbon dans sa bouche.
J’abonde dans le même sens. Je n’ai jamais été dérouté. Et je ne peux pas dire que c’est excitant. Au retour à la maison, ma petite-fille me questionne sur ma soirée et je réponds : « Baf! Pas grand-chose, on parle de nos photos, on écrit… J’ai hâte de me surprendre moi-même. »
Andy, veux-tu nous dire quelque chose?
La tortue sort de sa coquille, étire le cou et gazouille.
En tous cas, ma TS est fière de moi. Elle dit que c’est un exploit pour moi d’avoir participé tout le temps.
Du coup, es-tu d’accord avec ta TS?
Ben… oui pis non. C’est vrai que je continue… parce que j’aime… elle soulève sa mèche mauve du revers de la main … à cause de vous autres. Et non, je suis trop poche avec la photo que je t’ai envoyée.
Je vais te surprendre avec la prochaine directive. Du coup, merci pour ta persévérance, Andy.
Lui soupçonnant une fragilité à fleur de peau, les autres se limitent à la complimenter des yeux.
Êtes-vous prêts pour la suite?
Carmine insère dans un bol cinq bouts de papier sur lesquels sont écrits les prénoms des cinq personnes prenant part à l’atelier. Elle projette sur l’écran les cinq photos reçues par courriel, sans que celles-ci identifient les photographes.
Aujourd’hui, nous nous déstabilisons. Je vais piger au hasard un nom qui sera attribué au fur et à mesure aux cinq photos montrées sur l’écran.
Je n’ai pas vu votre texte inspiré de votre photo fétiche. À partir de celle qui vient de vous être attribuée, vous devez écrire une ou deux phrases à intégrer au début, à l’intérieur ou à la fin de votre texte, en obtenant une cohérence entre les deux. Allez. Inspiration, apparais-nous!
L’atelier se poursuit par un brassage d’idées menant à la rédaction d’une invitation à l’exposition-lecture pour la semaine suivante.
Quatrième lundi
Le quintette entre dans la salle, Andy au milieu du groupe. Cinq panneaux s’alignent, dévoilant les photos et les textes des membres de l’atelier Où cela nous mène-t-il. L’exposition démontre le talent artistique de Carmine ayant su créer un éblouissement pour les yeux, illustrer l’émotion vive des personnages de l’atelier.
Une demi-heure plus tard, une vingtaine de personnes prennent place devant les tableaux. La présentation, convenue avec Carmine par courriel, peut débuter.
Olympe fait son cinéma
La concurrente termine le montage des images extraites de la pellicule. Elles colorent l’écran. Les mosaïques de la médina réjouissent la participante, fière du résultat. Elle poste son film à l’extrême limite du temps alloué. Le jury rendra un verdict sévère: trop échevelé, incohérence entre les scènes, la participante manque de sérieux. La note tombe: évincée.
Vipère des sables, s’enfouir dans le désert marocain pour y ensevelir sa déception.
Le mangaka Hervé
L’Oiseau au pouvoir mirifique porte ombrage à Samouraï,
plonge le peuple effrayé dans une torpeur à générer le chaos.
Samouraï invite Soleil à descendre dans le cercle immense tracé de son sabre autour du territoire. L’astre du jour perce le cercle et entraîne Samouraï dans les profondeurs de l’Univers agité de vibrations. De ses feux les plus ardents, Soleil s’éjecte du trou, propulse Samouraï sur une glissière de lave. Le mont Fidji naît de ces cendres.
Alejandro honore la Pachamama
Des fleurs de tes seins coulait le nectar de la vie, je m’enivrais du parfum de ta peau, le soleil de tes yeux illuminait mon visage repu.
« Wawaja, juma pachpaw atinisiñama. Jumax askinak jikxatäta.* » me confient les cernes suintants de tes tumeurs cancéreuses.
L’oiseau-mouche se sustente, nourrit ses rêves,
boit à la source vive de la nature féconde.
Une petite-fille s’élance vers son grand-père, l’enlace, charmée par les images et les mots.
Moussa danse
Enfant des ténèbres dans la tour de l’abandon
Enfant funambule sur le fil d’un cocon
Froidure griffant sa chair d’ébène
Morsure sciant son cœur de glace
Maman elfe – Papa toxedo
Dansent dans les vapeurs délétères
Blanc de mémoire – nocturne
Andy et Fifille
Un rond. Faire fluffer sa jupe en tournant sur le tapis rond dans l’salon de grand-mère. Grincheux soulève Fifille, étourdie. Un trou d’homme. Il pue le méchant. C’est poche!
Gravé dans ses tripes, tatouage sur le silence de Fifille.
Carmine prend la parole : Andy et Moussa veulent pousser plus loin le défi; du coup, ils nous récitent ce court texte d’une seule voix.
Prise de vertige, Andy glisse sa main dans celle ambrée de Moussa pour rétablir son équilibre émotif. Le jeune homme tisse ses doigts à ceux d’Andy, scellant dans leur corps un frisson torride.
Andy et Moussa s’élancent sur la même inspiration.
Transis, solitaires au milieu du vide, s’habiller de la prochaine bordée de flocons, se réchauffer de leur évanescence, se réconcilier avec la saison immortelle : celle d’une peine intérieure insurmontée.
(* Mon fils, fais-toi confiance. Tu réussiras. – Langue aymara)
© 2024 Véronique Morel, texte et photos
Note : Je remercie les artistes de rue de m’offrir des œuvres si inspirantes.