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J’ai traversé des mers et des continents pour offrir ma destinée à des eaux limpides et des champs verdoyants sous un soleil frileux.

Je viens d’ailleurs. Là où les engins explosifs m’ont jeté du plomb dans l’aile. D’un lieu où nous nous entretuons, où les autorités maintiennent un règne de terreur, où quelques irréductibles habitent les ruines, où les bambins ne jouent plus et les amoureux s’évitent.

Esseulée sur les trottoirs de ma ville d’adoption, je crains les regards inquisiteurs, terrassée par les injures méprisantes comme autant d’obus incrustés dans mes chairs. J’ai peur. Parfois. Du crachat qui souillera mes vêtements. Je tremble malgré la canicule. Je cherche les couleurs de mon enfance et ne trouve que des murs rouge vif dont les multiples fenêtres sourient aux passants. Mes pas quémandent la morsure des grabats meurtriers, ne récoltant que des poussières soulevées par le flot urbain.

Je suis réfugiée dans un pays où le froid gèle les idées et atténue les drames; l’endroit où s’ouvrent des bras accueillants et des repas abondants. Mes papilles explorent des mets à peine épicés. Mes oreilles entendent des musiques feutrées, soyeuses comme peau de pêche. Elles réclament les berceuses râpeuses d’oummi, les youyous des femmes du village célébrant une naissance, un mariage… J’ai perdu mes repères sonores. Derrière la maison, le sifflement du train m’affole. Un réflexe viscéral hurle de m’enfuir, l’alarme d’un bombardement résonne à mes tempes. Troublée, exténuée, je rattrape ma respiration jetée du haut du balcon pour la calmer, lui redonner le tempo. Ici règne la paix.

Un rictus ridiculise ma réflexion. J’insiste : la liberté clame la paix en exultant de joie. Bien sûr, il y a tant de petits conflits désastreux : quête d’identité pour les natifs, propos patriotiques pour les orphelins politiques, dénouements cruels pour les victimes d’agression.

La guerre sur mon territoire natal estropie ses enfants, affame sa population, la condamne à l’itinérance, voire à la torture.

J’ai franchi des océans et des montagnes pour nicher dans un jardin qu’on appelle la Terre. Mes pleurs font croître l’arbuste sur lequel je me suis posée. Le soleil à son zénith réchauffe mal ma carcasse usée, anéantie par l’abandon des miens dans un désert de morts-vivants. Les reverrais-je? Mes larmes forment un miroir bleu dans lequel s’abreuve mon espoir de les retrouver.

Pourquoi les fleurs du jardinet m’éblouissent-elles autant?L'envol-LouiseDucas Leur silence m’indispose, crée le vertige, me donne la nausée. Tout cela est trop propre pour moi. Le froissement du souffle d’un insecte chavire mon cœur; il étourdit mes pensées que j’assomme de reproches délétères. Chérir la quiétude d’un fleuve nordique tandis que mes semblables croupissent dans un oued ensanglanté égratigne ma conscience. Ne devrais-je pas retourner vers les miens, livrer leur combat, mourir de la même haine?

Donnez-moi de l’oxygène!

© Véronique Morel
Photo de Louise Ducas, reproduction autorisée